Remise du dépôt de garantie à l’agent immobilier : le séquestre ne se présume pas 

A propos d’un arrêt de la Cour d’Appel de Pau du 9 juillet 2024

 

Lorsque le compromis de vente est rédigé par l’agent, il est fréquent que ce dernier soit lui-même dépositaire du dépôt de garantie. Mais en cas de difficulté, à quelles conditions peut-il/doit-il remettre les fonds à l’une des parties, et quelles sont ses obligations à ce titre ?
Telle est la question sous-jacente à un arrêt rendu le 9 juillet 2024 par la Cour d’Appel de Pau.

 

L’affaire

Un couple propriétaire d’un bien immobilier avait confié à un agent immobilier un mandat de vente exclusif.
La mission ayant porté ses fruits, l’agent avait trouvé des acquéreurs, et établi un compromis de vente, lequel comportait aussi bien une clause pénale en cas de non-réitération de la vente, que le versement d’un dépôt de garantie. Lequel avait effectivement été versé entre ses mains.
Les acquéreurs avaient toutefois décidé de ne pas donner suite, et les vendeurs avaient été contraints de leur faire délivrer une sommation d’avoir à réitérer la vente en l’étude de leur notaire.
Faute de présentation des acquéreurs, les vendeurs leur avaient signifié leur volonté de ne pas faire constater la vente, mais cependant d’obtenir l’indemnité résultant de la clause pénale figurant au compromis, et donc leur intention de ne pas restituer le dépôt de garantie.

Les acquéreurs prenaient alors l’initiative d’une action devant le Tribunal judiciaire, à l’encontre aussi bien des vendeurs que de l’agent immobilier, aux fins d’obtenir aussi bien la nullité de la vente que la restitution du dépôt de garantie et l’octroi de dommages et intérêts.
Quant aux vendeurs, ils sollicitaient la garantie de l’agent immobilière, et recherchaient en outre sa responsabilité pour refus de reversement à leur profit dudit dépôt de garantie.

 

La solution

Pour des raisons qui ne seront pas développées ici, la Cour d’Appel de Pau rejette les demandes des acquéreurs, et les condamne à une indemnité à titre de clause pénale, sur le montant de laquelle le dépôt le garantie vient s’imputer.Pour autant, la cour prononce une condamnation à l’encontre de l’agent immobilier au profit des vendeurs, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, aux motifs suivants :

  • « L’agence immobilière qui détient le dépôt de garantie à valoir sur la clause pénale en cas de non réitération de la vente par la faute des acquéreurs est redevable, à l’égard des vendeurs, de cette somme. En effet le compromis précise que dans ce cas (si la non réalisation de la vente est le fait de l’acquéreur), cette somme reste acquise de plein droit au vendeur, sous déduction des frais et débours pouvant être dus au rédacteur des présentes.
  • Quand bien même [les acquéreurs] avaient pris l’initiative d’engager une action contre M. [les vendeurs] et contre [l’agence immobilière], le dépôt de garantie revenait de plein droit aux vendeurs selon le compromis de vente.
  • Ceux-ci justifient avoir adressé plusieurs mails à [l’agence immobilière] pour obtenir restitution de cette somme (…) sans aucun effet.
  • Si ces lettres ne valent pas explicitement mises en demeure, l’agence immobilière a cependant commis une faute en retenant pendant 4 ans cette somme qui était due aux vendeurs selon le compromis signé ».

A la lecture de l’arrêt, on mesure la gêne de l’agent immobilier, probablement gagné par le sentiment d’être entre la marteau et l’enclume : il est dépositaire du dépôt de garantie destiné au vendeur, mais s’est retrouvé exposé à une réclamation des acquéreurs, craignant ainsi que sa responsabilité ne soit engagée à l’égard de ce dernier s’il libère les fonds au profit de son mandant ; et qui se retrouve finalement condamné !

En vérité, si l’agent immobilier a été sanctionné, c’est parce qu’il s’est comporté comme s’il avait été titulaire d’une mission de séquestre confiée par les deux parties au compromis, alors qu’il n’avait qu’un mandat avec le vendeur, et qu’il était donc tenu d’exécuter l’obligation de remise de fonds dont il n’était dépositaire qu’à l’égard de celui-ci.
Rappelons qu’un tel dépôt, consenti au profit d’une seule partie, est fondamentalement différent du séquestre conventionnel, que l’article 1956 du Code civil définit ainsi :

  • « Le séquestre conventionnel est le dépôt fait par une ou plusieurs personnes, d’une chose contentieuse, entre les mains d’un tiers qui s’oblige de la rendre, après la contestation terminée, à la personne qui sera jugée devoir l’obtenir ».

 

En pratique

Ainsi, la leçon de l’arrêt est que le séquestre ne se présume pas ; et qu’en conséquence, l’agent immobilier, lié par un unique mandat au profit du vendeur, n’a d’autre choix que d’exécuter les instructions de celui-ci.
Ainsi, on ne saurait trop recommander l’insertion systématique dans les compromis de vente d’une clause de séquestre lorsque l’agent est le dépositaire de fonds – et que bien entendu, il est titulaire d’une garantie financière, obligatoire en vertu de l’article 3 de la loi Hoguet du 2 janvier 1970.

Pour autant, qu’en est-il lorsque l’agent n’a pas pris une telle précaution, et que, comme en l’espèce, il se retrouve exposé à des réclamations de part et d’autre, alors que celle de l’acquéreur ne lui paraît pas totalement infondée, lequel pourrait lui reprocher de n’avoir pas prévu une mission de séquestre ?
Pour libérer l’agent immobilier de toute crainte, une solution pourrait être d’obtenir des deux parties l’autorisation expresse de séquestre amiablement les fonds, dès la naissance du litige, car il peut être encore temps pour cela.
A défaut, la solution ne peut être que le recours au juge, auprès de qui on pourra solliciter la transformation du dépôt en séquestre judiciaire, à titre conservatoire ; donc soit en référé, soit dans le cadre de la mise en état, selon qu’il existe ou non une procédure en cours.

 

Cour d’appel de Pau, 1re chambre, 9 juillet 2024, n° 22/02961