Mandat immobilier et droit de la consommation
A propos d’un arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence le 4 septembre 2024 *
L’agent immobilier ne doit pas seulement avoir une parfaite maîtrise des obigations que lui impose la Loi Hoguet,dédiée à la protection des mandants : lorsqu’il est dans une relation B to C, il doit aussi composer avec le droit de la consommation, qui octroie au mandant une couche de protection supplémentaire.
Mais dans quelle mesure ?
Les tentatives de mandant escomptant profiter de la totalité des avantages ordinaires du droit de la consommation sont à l’origine d’un contentieux fournis, ainsi que l’illustre la Cour d’appel d’Aix-en-Provence s’est penchée sur la question, à travers l’arrêt ici commenté.
L’affaire
Des époux, propriétaires d’un bien, avaient confié à un agent un mandat sans exclusivité de vente en viager occupé, prévoyant une commission déterminée, ainsi qu’une clause pénale du même montant.
Par l’intermédiaire dudit agent, des acquéreurs avaient visité le bien le 30 janvier 2018; avant que de formuler une offre d’achat le 4 février 2018, aux conditions du mandat.
Or, la veille, les vendeurs avaient résilié le mandat.Après mise en demeure infructueuse, l’agent a assigné les vendeurs devant le Tribunal de Grande instance de Marseille, aux fins d’obtenir leur condamnation au règlemetn notamemnt de la clause pénale.
Les mandants en appelaient au droit de la consommation, à divers titres :
- D’abord, en soulevant la nullité du mandat au visa des articles L. 221-5 et L 221-9 du Code de la consommation applicables aux contrats conclus à distance et hors établissement, au motif que les mandats auraient été signés non pas dans les locaux de l’agent, mais à leur domicile, et que l’agent aurait dû respecter les dispositions du code de la consommation afférentes à la mention du droit de rétractation et le bordereau l’accompagnant,
- Puis en se fondant sur l’article L. 215-1 du même code relatifs à l’information du consommateur en matière de contrat à durée déterminée avec tacite reconduction,
- Enfin en demandant la réduction de la clause pénale à 1€, au motif tant de leur âge que de leur état de santé, ainsi que de leur situation financière.
La solution
Aux termes de son arrêt du 4 septembre 2024, la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence déboute les vendeurs de toutes leurs demandes.
En premier lieu, la Cour rappelle le champ d’application du droit de la consommation :
- « Les dispositions du code de la consommation sont applicables, sauf exception, aux contrats conclus entre un professionnel, entendu comme toute personne physique ou morale qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’il agit au nom et pour le compte d’un autre professionnel, et un consommateur, entendu comme toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, libérale ou agricole ».
Elle rappelle également que le mandat entre bien dans le champ des dispositions afférentes aux contrats « hors établissement » :
- L’article L. 221-2 du code de la consommation exclut du champs d’application du chapitre 1 du titre II du livre II de ce code, qui est relatif aux contrats à distance et hors établissement, un certain nombre de contrats.
- Le 12° de ce texte exclut ‘les contrats portant sur la création, l’acquisition ou le transfert de biens immobiliers ou de droits sur des biens immobiliers, la construction d’immeubles neufs, la transformation importante d’immeubles existants ou la location d’un logement à des fins résidentielles’.
- En l’espèce, les contrats litigieux ne portent pas sur la création, l’acquisition ou le transfert de biens immobiliers ou de droits sur des biens immobiliers. Il s’agit de contrats de mandat, c’est à dire d’entremise en vue de la mutation d’un bien immobilier appartenant à un tiers.
Faisant application de ces dispositins, la Cour pose que :
- Selon l’article L. 221-2 2° du code de la consommation, le contrat hors établissement est celui qui est conclu entre un professionnel et un consommateur dans un lieu qui n’est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle, en la présence physique simultanée des parties, y compris à la suite d’une sollicitation ou d’une offre faite par le consommateur, ou dans le lieu où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle ou au moyen d’une technique de communication à distance, immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement et individuellement dans un lieu différent de celui où le professionnel exerce en permanence ou de manière habituelle son activité et où les parties étaient, physiquement et simultanément, présentes, ou pendant une excursion organisée par le professionnel ayant pour but ou pour effet de promouvoir et de vendre des biens ou des services au consommateur.
- Il appartient au consommateur qui prétend au bénéfice de ces dispositions de démontrer que le ou les contrats dont il demande l’annulation ont été conclus hors établissement…
- Les [mandants] contestent s’être déplacés au sein de [l’établissement de l’agent visé au mandat] au motif qu’ils ne sont pas en mesure, du fait de leur grand âge et de l’état de santé de [l’époux], de se déplacer. [L’attestation de l société de taxi qui les transporte habituellemen] est, à elle seule, insuffisante pour prouver contre l’écrit signé par les [mandants]. Il résulte [du certificat du médecin attestant que l’état de santé de l’époux ‘rend très difficile tout déplacement à distance de son logement’] que tout déplacement est difficile, mais non impossible. S’il peut difficilement être envisagé, compte tenu de ce certificat, que les [mandants] aient parcouru un trajet de 1,9 kilomètres à pied, rien ne démontre qu’ils n’ont pas emprunté un moyen de transport en commun….
- En conséquence, dès lors que le mandat en exécution duquel [l’agent] agit, a été signé au cabinet du mandataire, (…) et que les [mandants] ne rapportent la preuve par aucune pièce probante du caractère inexact de cette mention, il ne peut être considéré que le contrat a été conclu hors établissement.
Quant aux dispositions de l’article L. 215-1 du Code de la consommation, la Cour juge que :
- L’article L. 215-1u code de la consommation, dans sa version applicable au 6 septembre 2017, dispose que, pour les contrats de prestations de services conclus pour une durée déterminée avec une clause de reconduction tacite, le professionnel prestataire de services informe le consommateur par écrit, par lettre nominative ou courrier électronique dédiés, au plus tôt trois mois et au plus tard un mois avant le terme de la période autorisant le rejet de la reconduction, de la possibilité de ne pas reconduire le contrat qu’il a conclu avec une clause de reconduction tacite. Cette information, délivrée dans des termes clairs et compréhensibles, mentionne, dans un encadré apparent, la date limite de non-reconduction.
- Lorsque cette information ne lui a pas été adressée conformément aux dispositions du premier alinéa, le consommateur peut mettre gratuitement un terme au contrat, à tout moment à compter de la date de reconduction. (…). Les dispositions du présent article s’appliquent sans préjudice de celles qui soumettent légalement certains contrats à des règles particulières en ce qui concerne l’information du consommateur.
- … Les dispositions précitées ont pour seule sanction de permettre au consommateur qui n’a pas été avisé dans les conditions prévues par le texte de la possibilité de ne pas reconduire le contrat, de mettre gratuitement un terme au contrat.
- Par conséquent, l’argumentation des parties relative à l’applicabilité au contrat des dispositions de l’article L. 215-1 du code de la consommation est sans objet.
- Dès lors que le courrier de résiliation est intervenu avant le 6 mars 2018, les stipulations contractuelles selon lesquelles la résiliation du contrat ne pouvait prendre effet qu’à l’issue d’un délai de quinzaine, sont applicables, ce dont il résulte que la résiliation, opérée par courrier recommandé du 3 février 2018, n’a pris effet que le 18 février 2018.
Le mandat étant encore en vigueur au jour de la présentation de l’offre d’achat, il doit donc recevoir application, au titre de la clause pénale.
A ce titre, la Cour fait preuve de rigueur :
- En application de l’article 1231-5 du code civil, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
- Les dommages-intérêts ainsi stipulés s’analysent en une pénalité évaluée forfaitairement, ayant pour vocation de sanctionner le manquement par une partie à ses obligations.
- La réduction des obligations résultant d’une clause pénale manifestement excessive constitue une simple faculté, le juge n’étant pas tenu, lorsqu’il fait application pure et simple de la convention, de motiver spécialement la décision par laquelle il refuse de modifier le montant de la «peine» forfaitairement prévue par le contrat.
- En l’espèce, les [mandants] n’ont pas exécuté leur engagement, même en partie. Il n’y a donc pas lieu à modération de la pénalité à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au mandataire.
- Le but de la clause pénale stipulée au contrat de mandat est de permettre à l’agent immobilier d’obtenir compensation du préjudice qu’il subit lorsque, ayant accompli les démarches propres à trouver un acquéreur, il ne perçoit aucune rémunération du fait de l’absence de réalisation de l’opération immobilière par suite d’une volte face de son mandataire.
- Les [mandants] ne démontrent par aucune pièce que [l’agent] n’a pas rempli ou imparfaitement exécuté sa mission.
- La pénalité stipulée au contrat n’est donc pas manifestement excessive, quand bien même elle correspond au montant total de la commission éludée, puisque l’agent immobilier a précisément perdu celle-ci par la faute de son co-contractant.
En pratique
En l’espèce, l’agent n’a pu échapper à la nullité de son mandat qu’en raison de l’extrême rigueur de la Cour d’appel quant à la preuve exigée des mandants pour renverser la présomption tirée des termes du mandat quant à son lieu de signature.
De fait, on remarquera que le travail de la défense, particulièrement sérieux et étayé, n’a pas suffi.
On ne peut évidemment gager qu’il en sera toujours ainsi : dans d’autres affaires ou devant d’autres juridictions, il est loin d’être exclu que la balance penche en faveur des mandants-consommateurs.
Il est vrai que le droit de la consommation peut apparaître comme extrêmement exigeant, et que ses arcanes peuvent faciliter l’office de mandants de mauvaise foi, ou plus simplement opportunistes.
A l’agent immobilier, donc, de faire preuve à son tour de rigueur dans l’application de ces dispositions.
En fonction notamment du lieu effectif de signature, il lui incombe de s’assurer de la conformité de ses documents contractuels.
Et même si, dans un premier mouvement, le maniement peut en paraître peu aisé au quotidien, on ne saurait trop lui recommander d’avoir des formulaires distincts.
C’est à ce prix qu’il sécurisera sa rémunération
* Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre 1 1, 4 septembre 2024, n° 20/06268