Du droit à indemnisation de l’agent en cas de refus de réitération de la vente
L’agent immobilier a bien fait son travail : un mandat a été régularisé avec un vendeur, un acquéreur a été trouvé, la promesse de vente a été signée au prix de 9 700 000 €, et les conditions suspensives ont été levées, notamment par l’obtention d’un financement. Ce faisant, l’agent aura bien mérité la commission prévue au mandat, soit 360 000 €, qui pourra lui être versée sitôt la vente réitérée ; ledit droit à commission ayant même fait l’objet d’une reconnaissance d’honoraires par l’acquéreur, sur qui les parties en ont fait peser contractuellement la charge.
Mais voilà : en raison d’une mésente avec le vendeur, l’acquéreur refuse de réitérer et renonce à son acquisition. Et bien entendu, hélas, refuse à l’agent tout droit à commission. Quant au vendeur, il ne persiste pas dans le projet, ne demande pas en Justice la réitération forcée de la vente, de sorte que celle-ci ne se fera jamais.
L’agent n’a d’autre choix que d’aller lui-même chercher en Justice une réparation, ce qui donne l’occasion à la Cour d’Appel de Montpellier de se prononcer sur les principes applicables dans un arrêt du 4 avril 2024 :
Au visa des articles 6 alinéa 3 de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970 et de l’article 74 du décret n°72-678 du 20 juillet 1972, il a été jugé que suivant ces dispositions impératives aucune somme d’argent n’est due, à quelque titre que ce soit, à l’agent immobilier avant que l’opération pour laquelle il a reçu un mandat écrit ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte contenant l’engagement des parties ; que lorsque l’engagement des parties contient une clause de dédit ou une condition suspensive, l’opération ne peut être regardée comme effectivement conclue, pour l’application du troisième alinéa de l’article 6 de la loi susvisée du 2 janvier 1970, s’il y a dédit ou tant que la faculté de dédit subsiste ou tant que la condition suspensive n’est pas réalisée. …
Toute faculté de dédit étant expirée, toutes les conditions suspensives étant levées, [l’acquéreur] étant expressément désigné comme débiteur de sa commission dans la promesse du 21 décembre 2017 devenue synallagmatique par sa levée d’option, ce qu’il confirmait en acceptant la facture du 22 décembre 2017 émise par l’agence, la réclamation se heurte cependant aux termes de la loi Hoguet puisque la vente n’a pas été définitivement conclue par un acte authentique comme le rappelait au demeurant la facture acceptée.
Il est alors admis qu’en présence d’une promesse synallagmatique de vente constituant un accord définitif sur la chose et sur le prix, l’intermédiaire de vente ne peut être privé de son droit à rémunération ou à indemnisation lorsque l’agent immobilier prouve la faute de l’acquéreur l’ayant privé de la réalisation de la vente…
Dès lors qu’il est établi que seul [l’acquéreur] est à l’origine de l’absence de concrétisation de la vente par acte authentique alors que toutes les conditions pour sa réalisation étaient remplies, qu’il s’était engagé sur la base d’un achat sans recours à prêt bancaire, qu’il s’était reconnu débiteur de la commission, il convient de le condamner à indemniser l’agence de sa perte de chance de percevoir la rémunération escomptée...
En l’espèce, la Cour se montre particulièrement sévère envers l’acquéreur, puisque l’indemnité allouée à l’agent au titre de la perte de chance est fixée à 350 000 € – soit 97% de la commission convenue..
On fera évidemment une réserve en retenant que le taux de perte de chance ne peut jamais être fixée au montant de la commission perdue, et est fixé discrétionnairement par les magistrats, en fonction des circonstances.
La principale réserve est que cet arrêt semble appliquer de manière plutôt souple la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, laquelle au contraire particulièrement exigeante quant à la démonstration d’une faute permettant l’indemnisation de l’agent.
Il a ainsi été jugé par la haute juridiction que même lorsqu’une Cour d’appel déduit de circonsances de fait que des parties se sont entendues pour éluder les droits de l’agent, notamment en concluant non une vente de bien immobilier mais une cession de parts sociales de la société propriétaire dudit bien, une telle faute n’est pas nécessairement caractérisée (Cass. 1ère civ., 1er juillet 2020, n° 18-10.285).
Dans ces conditions, il est beaucoup plus habituel de constater le refus de toute indemnisation de l’agent lorsque l’affaire ne va pas au bout, même lorsqu’elle est intégralement imputable à l’acquéreur.
Ainsi en va-t-il de la Cour d’Appel de Poitiers qui, aux termes d’un arrêt du 7 mai 2024, statue dans des termes conformes à la jurisprudence de la Cour de cassation :
A défaut de réitération de la vente par acte authentique, l’agent immobilier n’est pas fondé à percevoir sa commission, sauf pour lui à obtenir des dommages et intérêts en démontrant que l’acquéreur, par son comportement fautif, l’en a privé.
Le refus [des acquéreurs] de poursuivre la vente a pour cause leur séparation, ce qui constitue un motif légitime de ne pas poursuivre la vente, faisant obstacle à y voir une faute délictuelle.
En l’absence de manoeuvres frauduleuses ou d’indélicatesse des acquéreurs, l’agent immobilier n’est, par application des dispositions précitées, pas fondé à demander une indemnisation au titre de l’absence de réitération de la vente par acte authentique.
On ajoutera que, dans l’espèce ayant donné lieu à cet arrêt de la Cour d’Appel de Poitiers, les vendeurs ont été indemnisés par les acquéreurs défaillants, sur le fondement d’une clause pénale prévoyant une forfaitisation des dommages et intérêts à 10%, ce taux ayant cependant été jugé manifestement excesssif, et réduit de deux tiers.
Ainsi, si entre les parties à la vente, les relations sont régies par le droit commun des contrats et le droit spécial de la vente, le droit à indemnisation de l’agent immobilier n’est fixé que par référence au régime autonome de la Loi Hoguet, auquel il n’est apporté de dérogation par la voie de la responsabilité civile que de manière exceptionnelle et rigoureuse,
CA Montpellier, 4e ch. civ., 4 avr. 2024, n° 21/01218 ; CA Poitiers, 1re ch., 7 mai 2024, n° 22/01796