Droit de préférence du locataire et honoraires de l’agent

A propos d’un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Douai le 3 octobre 2024 *, sur renvoi d’un arrêt de la Cour de cassation du 1er mars 2023 **

 

Le droit à commission de l’agent est semé d’aléas de toutes sortes, qui peuvent empêcher une affaire d’aller au bout, et c’est là le risque du métier, et il est bien intégré.
Mais il existe encore un risque, plus durement ressenti : que l’affaire aille au bout, que le mandat ait épuisé ses effets, mais que l’acquisition se fasse au profit d’un locataire auquel aura été notifié une offre déclenchant son droit de préférence.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Douai le 3 octobre 2024, ici rapporté, en est une nouvelle illustration.

 

L’affaire

Un couple, propriétaires d’un immeuble à usage d’habitation, avait délivré à ses locataires, un congé pour vendre au prix de 400 000 euros. Les locataires n’ayant pas accepté cette offre, ils avaient quitté les lieux à l’issue du préavis.
A la suite de ce refus, les vendeurs avaient confié à un agent immobilier un mandat mettant les honoraires à la charge de l’acquéreur.

Les diligences de cet agent avaient été fructueuses, puisqu’elles avaient conduit à la présentation d’un tiers avec qui les vendeurs avaient régularisé une promesse au prix de 380’000 euros, dont 10 000 euros de commission d’agence. Le prix avait alors été notifié par le notaire aux anciens locataires, lesquels avaient accepté l’offre et conclu la vente.
Estimant qu’ils avaient indûment payé la commission de l’agence immobilière, les locataires-acquéreurs avaient assigné l’agence en remboursement de cette somme et en paiement de dommages et intérêts.

S’était alors engagé un long parcours procédural, sur la base d’une assignation délivrée en mai 2018, qui avait conduit les vendeurs d’abord devant le Tribunal judiciaire de Senlis puis devant la Cour d’Appel d’Amiens qui, tous deux, avaient jugé que la commission d’agent était due.
La Cour de cassation avait cependant cassé et annulé l’arrêt de cette dernière juridiction, avant de renvoyer l’affaire devant la Cour d’Appel de Douai.

La solution

Aux termes de son arrêt rendu le 3 octobre 2024, et  ainsi qu’il lui incombe, la Cour d’Appel de Douai tire la conséquence de l’arrêt rendu le 1er mars 2023 par la Cour de cassation? laquelle avait posé les prinicpes applicablesdans les termes suivants :

  • Vu les articles 15, II, alinéa 4, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 :
  • « Selon le premier de ces textes, dans le cas où le propriétaire, après un refus de l’offre initiale de vente adressée au locataire, décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l’acquéreur, le notaire doit, lorsque le bailleur n’y a pas préalablement procédé, notifier au locataire ces conditions et prix à peine de nullité de la vente et cette notification vaut offre de vente au profit du locataire.
    Il résulte du second que le droit à rémunération de l’agent immobilier, auquel un mandat de recherche a été confié, suppose une mise en relation entre le vendeur et l’acquéreur…
  • le locataire qui exerce son droit de préemption subsidiaire en acceptant l’offre notifiée par le notaire, qui n’avait pas à être présentée par l’agent immobilier mandaté par le propriétaire pour rechercher un acquéreur, ne peut se voir imposer le paiement d’une commission renchérissant le prix du bien« 

Sur la base de cet arrêt de cassation, la Cour d’appel fonde le droit à restitution des acquéreurs, au regard du régime de droit commun de la répétition de l’indu :

  • « L’article 1302 du code civil dispose que tout paiement suppose une dette ; que ce qui a été reçu sans être dû est sujet à répétition.
  • L’article 1302-1 du même code prévoit que celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu ».

Ce dont la Cour d’appel fait application en l’espèce :

  • [Les locataires] ont exercé leur droit de préemption subsidiaire en acceptant cette offre en l’état et la vente a été conclue.
  • Or, c’est à tort que les premiers juges ont estimé, pour débouter les acquéreurs de leur demande en restitution des 10 000 euros de commission d’agence qu’ils estimaient avoir payée à tort, que les démarches de l’agence immobilière avaient été déterminantes dans la signature de la promesse de vente …ayant déclenché l’exercice par les [locataires] de leur droit de préemption, alors que l’offre notifiée par le notaire n’avait pas à leur être présentée par l’agent immobilier mandaté par le propriétaire pour rechercher un acquéreur et qu’ils ne pouvaient en conséquence se voir imposer le paiement d’une commission renchérissant le prix du bien, peu important qu’ils n’aient pas émis de réserve sur le paiement de cette commission avant la signature de l’acte authentique, souhaitant éviter de paraître renégocier le prix, ce qui leur aurait à coup sûr fait manquer la vente.
  • Il convient en conséquence d’infirmer le jugement entrepris et de condamner [l’agent] à leur payer la somme de 10 000 euros à titre de restitution de la commission indûment versée, augmentée des intérêts au taux légal à compter… de la mise en demeure.

 

En pratique

Sans surprise, la solution rendue quant au droit de préférence du locataire d’un local à usage d’habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989 est alignée sur celle qui prévaut pour le droit de préférence du locataire commercial, où la Cour de cassation juge avec constance que  « en application de l’alinéa 1, de l’article L. 145-46-1 du code de commerce, disposition d’ordre public, le bailleur qui envisage de vendre son local commercial doit préalablement notifier au preneur une offre de vente qui ne peut inclure des honoraires de négociation »  (Cass. 3e civ., 28 juin 2018, n° 17-14.605).
Au plan de l’application des règles, la solution est applicable, l’explication de fond étant que, selon la Cour de cassation,  « aucun intermédiaire n’est nécessaire ou utile pour réaliser la vente qui résulte de l’effet de la loi ». (Cass. 3e civ., 23 sept. 2021, n° 20-17.799).

C’est évidemment un peu court, car sans acquéreur trouvé par l’agent par l’effet de son travail et de sa compétence, pas de notification d’offre permettant permettant au locataire d’exercer son droit de préférence !
Comme si, pour des motifs tirés d’un ordre public plus fort, le caractère réglementé de la profession d’agent immobilier lui donnait vocation à être le collaborateur bénévole du législateur au bénéfice des locataires.

D’où la précaution pratique, pour conjurer ce risque, de prévoir dans le mandat portant sur un bien objet d’un contrat de bail, que les honoraires d’agence seront mis à la charge du vendeur ; même si un débat peut exister à ce titre, il est permis de penser que l’honoraire consenti par le mandant sera toujours moins contesté que par le tiers.

 

* Cour d’appel de Douai, Chambre 1 section 1, 3 octobre 2024, n° 23/02020
** Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 1er mars 2023, pourvoi n° 21-22.073