De la garantie des vices cachés lorsque le vendeur est agent immobilier

A propos d’un arrêt de la Cour de cassation du 17 octobre 2024 *

 

Depuis le Code civil de 1804, la garantie des vices cachés est au coeur du droit de la vente, singulièrement de la vente immobilière, et si quelques retouches ont été opérées, elles n’affectent pas les principales dispositions, demeurées inchangées.

Il en va ainsi des articles 1643 et 1645 du Code civil, lesquels prévoientt que :

  • « [Le vendeur) est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n’ait stipulé qu’il ne sera obligé à aucune garantie.
  • « Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu’il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l’acheteur ».

A partir de ces règles, la jurisprudence a construit un régime en posant le principe que, s’il est possible par principe de s’exonérer de la garantie des vices cachés, « Le vendeur professionnel est présumé connaître les vices de la chose vendue« .(Cass. Com., 14 novembre 2019, n°18-14.502) , avec pour conséquence qu’il « ne peut se prévaloir d’une clause limitative ou exclusive de garantie des vices cachés » (Cass. 3e Civ., 15 juin 2022, n°21-21.143).

Seulement, qu’en est-il de l’interprétation de la notion de professionnel, notamment pour l’agent immobilier qui, quoique professionnel, agirait dans un cadre non professionnel ?
C’est à cette question que réponde la Cour de cassation, aux termes d’un arrêt du 17 octobre 2024.

 

L’affaire

Un couple avait signé un compromis de vente sur une maison d’habitation appartenant à un couple, dont l’époux exerçait la profession de négociateur immobilier.
En annexe, le compromis comportait les diagnostics d’usage. A l’approche de la vente, le diagnostic de performance énergétique avait fait l’objet d’une rectification, transmise aux acquéreurs quinze jours avant la signature de l’acte authentique.
Celui-ci contenait une clause excluant la garantie des vices cachés.
Après avoir pris possession, et après avoir constaté des désordres de toute nature, les acquéreurs avaient obtenu la désignation d’un expert judiciaire, lesuel avait confirmé l’existence de vices consistant notamment des difficultés d’isolation et un défaut de performance énergétique.
Par suite, les acquéreurs avaient assigné les vendeurs en garantie des vices cachés, ainsi que le diagnostiqueur, sur le fondement de sa responsabilité délictuelle.

En première instance, le Tribunal de Grande Instance de  Pau avait notamment retenu la qualité de vendeurs professionnels [vendeurs] au regard de la profession du mari, et de leur comportement, dès lors qu’ils avaient initialement acquis achat dans le but de rénover le bien pour faire une plus-value lors de sa revente ; leur garantie avait donc été retenue au titre des vices cachés, concomitamment à la condamnation du diagnostiqueur.
La Cour d’Appel de Pau, par un arrêt en date du 13 septembre 2022, avait rejeté l’action des acquéreurs à l’encontre des vendeurs, tout en retenant la responsabilité du diagnostiqueur au motif que la rectification du diagnostic seulement 2 semaines avant la régularisation de l’acte authentique les avait privés d’une perte de chance de négocier une réduction du prix de vente s’ils avaient eu connaissance de cette rectification avant la signature du compromis.
Les acquéreurs avaient alors formé un pourvoi devant la Cour de cassation limité au rejet de leurs demandes contre les vendeurs.

 

La solution

Par un arrêt du 17 octobre 2024 dépourvu d’ambiguïté, la Cour de cassation, rejette le pourvoi, au motif que :

  • La cour d’appel a relevé que le projet initial des vendeurs était l’achat d’un bien immobilier en vue de sa location, qu’ils n’avaient procédé à sa revente après travaux qu’en raison de l’état de santé [l’époux] et qu’il s’agissait d’une opération isolée de gestion de leur patrimoine privé.
  • Elle a pu déduire de ces seuls motifs que [les vendeurs] n’étaient pas des vendeurs professionnels, peu important que [l’époux] ait été agent ou négociateur immobilier, de sorte qu’ils pouvaient se prévaloir de la clause de non-garantie des vices cachés.

 

En pratique

La position de la Cour de cassation est stricte quant à la qualité de professionnel paralysant la clause de non-garantie des vices cachés : la profession ne suffit pas, indépendamment des compétences qu’elle pourrait donner à l’agent immobilier.
En quelque sorte, si la connaissance du vice est irréfragable pour le professionnel, encore faut-il que cette qualité ait joué un rôle au regard de l’opération en cause.
Cela étant, on observera que le raisonnement adopté par la cour d’appel, validé par la Cour de cassation, repose finalement sur un faisceau d’indices., et que finalement, tout est affaire d’espèce, d’interprétation des faits.
A contrario, on retiendra que même exercée en-dehors de l’activité professionnelle de l’agent au sens strict, une vente s’inscrivant dans une stratégie de développement d’un patrimoine immobilier peut le faire retomber dans la catégorie des professionnels au sens de la garantie des vices cachés,

Sur ce point, l’arrêt n’infirme pas la jurisprudence antérieure, l’affaire pouvant être rapprochée d’une autre espèce où, par un arrêt du 13 janvier 2016 (pourvoi n° 15-16414), la Cour de cassation avait jugé en ces termes :

  • Ayant retenu qu’il ressortait de l’extrait K bis de la société [X], dont l’activité était l’achat, la rénovation et la location d’immeubles et de biens immobiliers, que [le vendeur] en était le gérant…, que cette société était un marchand de biens et un professionnel de l’immobilier, qui avait, concomitamment à la vente litigieuse, rénové un immeuble,
  • que le seul fait que la vente avait été réalisée au titre de la gestion du patrimoine personnel [du vendeur], avec l’intervention d’un notaire mandaté par lui, n’était pas suffisant pour écarter la qualité de vendeur professionnel, laquelle n’était pas limitée à celui qui agit dans l’exercice de sa profession mais concernait également le particulier contractant dans un but personnel,
  • la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche sur la compétence [du vendeur] en matière de construction qui ne lui était pas demandée, a pu en déduire que celui-ci, en raison de son activité de gérant depuis environ deux ans, devait être considéré comme un professionnel de l’immobilier et ne pouvait pas opposer [aux acquéreurs]la clause contractuelle de non-garantie des vices cachés 

 

* Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 17 octobre 2024, pourvoi n° 22-22.882