Du défaut d’habilitation du collaborateur
A propos d’un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Versailles le 19 septembre 2024 *
Parmi les règles posées par la loi Hoguet aux fins de protection du public, figure la nécessité pour l’agent, s’il n’agit pas lui-même, d’habiliter ses collaborateurs, tout au moins ceux susceptibles d’intervenir en ses lieu et place, à travers une attestation délivrée par la Chambre de Commerce et d’Industrie.
La règle est connue, à tel point que l’on s’étonne que certains agents n’aient pas cette rigueur élémentaire, ainsi qu’en atteste l’arrêt rendu le 19 septembre 2024 par la Cour d’Appel de Versailles.
L’affaire
Des époux avaient confié à un agent un mandat exclusif de vente portant sur leur bien immobilier, en exécution duquel de ce mandat, l’agent avait fait visiter le bien à un couple.
C’est cependant par l’intermédiaire d’un autre agent, également mandaté par les vendeurs, que le couple visiteur avait fait une offre, laquelle avait été acceptée, et donné lieu à une promesse de vente.
Le premier agent s’était donc prévalu de la clause pénale figurant à son mandat, avant d’agir en Justice à ce titre, et d’obtenir un jugement favorable.
Devant la Cour d’appel, et ainsi qu’il est fréquent, les mandants avaient soulevé plusieurs arguments tirés du Code de la consommation, ainsi qu’un autre, tiré du défaut de mention de l’habilitation du collaborateur de l’agent, signataire du mandat.
C’est ce dernier moyen qui est retenu par la Cour d’Appel de Versailles.
La solution
La juridiction fait une application classique du droit applicable à l’habilitation du collaborateur :
- L’article 1er de la loi Hoguet énonce que les dispositions de cette loi s’appliquent aux personnes physiques ou morales qui, d’une manière habituelle, se livrent ou prêtent leur concours, même à titre accessoire, aux opérations portant sur les biens d’autrui et relatives, notamment, à la vente d’immeubles bâtis.
- L’article 6 de la même loi précise le formalisme entourant les conventions qui, à l’instar du mandat exclusif de vente, sont conclues avec le concours de ces personnes.
- S’il est précisé par l’article 3 de la même loi que l’activité décrite par l’article 1er ne peut être exercée que par les personnes physiques ou morales titulaires d’une carte professionnelle, l’article 4 prévoit que tout titulaire de la carte professionnelle peut habiliter une autre personne pour négocier, s’entremettre ou s’engager pour son compte. Dans ce cas, il est prévu que cette personne « justifie d’une compétence professionnelle, de sa qualité et de l’étendue de ses pouvoirs dans les conditions fixées par décret en conseil d’Etat ».
- L’article 9 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 énonce ainsi : » Toute personne physique habilitée par un titulaire de la carte professionnelle à négocier, s’entremettre ou s’engager pour le compte de ce dernier, justifie de la qualité et de l’étendue de ses pouvoirs par la production d’une attestation conforme à un modèle déterminé par arrêté du ministre chargé de l’économie.
- L’attestation est visée par le président de la chambre de commerce et d’industrie territoriale ou de la chambre départementale d’Ile-de-France compétente en application du I de l’article 5, puis délivrée par le titulaire de la carte professionnelle. Les dispositions du II de l’article 3 sont applicables pour le visa du président de la chambre de commerce et d’industrie. « .
- Son dernier alinéa précise que : « Les nom et qualité du titulaire de l’attestation doivent être mentionnés dans les conventions visées à l’article 6 de la loi du 2 janvier 1970 susvisée lorsqu’il intervient dans leur conclusion, ainsi que sur les reçus de versements ou remises lorsqu’il en délivre ».
- En application de ces dispositions d’ordre public, la Cour de cassation a ainsi pu considérer qu’à défaut de mention, dans le mandat, du nom et de la qualité de la personne habilitée par un titulaire de la carte professionnelle à négocier, s’entremettre ou s’engager pour le compte de ce dernier, cette convention était nulle (Civ. 1ère, 12 nov. 2020, n° 19-14.025).
- La cour constate, à la suite du tribunal, que le nom de [le collaborateur] figure dans l’encadré « cachet de l’agence » et que la case « agent commercial » n’est pas cochée, mais observe que [le collaborateur] a agi en qualité de représentant de la société Square’s, son nom étant précédé de la mention préimprimée « représentée par ».
- Il en résulte que [le collaborateur] est intervenu dans la signature du mandat « pour le compte » de [l’agent] titulaire de la carte professionnelle, au sens de l’article 9 du décret de 1972, et ce, sans qu’il soit par ailleurs justifié qu’il était lui-même titulaire d’une carte professionnelle. La loi ne distinguant pas et ne réservant pas l’exigence d’une attestation d’habilitation aux seuls agents commerciaux, il était attendu de l’agence qu’elle justifie de l’attestation délivrée [au collaborateur] l’habilitant à agir pour son compte. En effet, bien que [l’agent]ne précise pas dans ses conclusions en quelle qualité [le collaborateur] est intervenu, il doit être rappelé que l’attestation délivrée par l’agent immobilier titulaire de la carte professionnelle a pour objet de justifier auprès de la clientèle de la qualité et de l’étendue des pouvoirs et s’applique à celui-ci indifféremment de son statut de salarié ou de non-salarié indépendant de l’agent.
- Dans ces circonstances, et alors que les dispositions légales et réglementaires précitées visent à organiser l’accès à la profession d’agent immobilier, à assurer la compétence et la moralité des agents immobiliers et à protéger le mandant qui doit pouvoir s’assurer que la personne à qui il confie le mandat est bien habilitée par l’agent immobilier, titulaire de l’attestation légale et donc des pouvoirs nécessaires, la violation des dispositions précitées doit conduire à l’annulation du mandat exclusif de vente, en l’absence d’attestation d’habilitation et d’indication dans le mandat de la qualité de personne habilitée [du collaborateur].
Ce dont elle tire logiquement la conclusion, s’agissant du prétendu droit à commission de l’agent :
- Aux termes de l’article 1178, alinéa 2, le contrat annulé est censé n’avoir jamais existé.
- Compte tenu de la nullité du mandat prononcée pour les motifs ci-dessus exposés, il ne peut être fait droit à la demande de [l’agent] de voir appliquer la clause pénale du contrat,
- de même que ne pourrait être accueillie, si elle avait été réitérée à hauteur d’appel, une quelconque demande subsidiaire fondée sur la responsabilité contractuelle.
En pratique
L’habilitation de ses collaborateurs, quel que soit leur statut, donne à l’agent titulaire de la carte, le don d’ubiquité.
Encore faut-il y veiller, en s’assurant, à chaque instant, de l’existence d’une habilitation, que ce soit à l’embauche ou au renouvellement de la carte.
Et encore faut-il veiller, également, à ce qu’à chaque acte d’engagement opéré par le collaborateur habilité, les conditions formelles posées par la Loi Hoguet soient respectées.
On observera cependant qu’il existe un moyen d’éviter ces écueils formels : le recours à la signature électronique, qui permet à l’agent la même ubuquité, tout en centralisant les processus de conclusion des mandats, renforçant ainsi l’efficacité de l’organisation de l’agence et, partant, sa sécurité juridique.
* Cour d’appel de Versailles, Chambre civile 1 3, 19 septembre 2024, n° 21/06778