Mise à disposition d’espaces : fourniture de service ou sous-location ?


On le sait, le marché de la location de bureaux et autres espaces professionnels connaît des transformations profondes, en raison aussi bien de la digitalisation qui permet de dispenser le travail d’une localisation spaciale fixe.
De là, la pratique de plus en plus fréquente visant, pour les locataires, à rentabiliser les espaces loués et ainsi réduire leur propre charge de loyer, en partageant leur espace de travail avec d’autres acteurs économiques, et en leur fournissant l’ensemble des prestations utiles.
Ce qui permet également le développement du marché du coworking, où l’espace loué n’est plus destiné à une occupation directe par le locataire, mais au seul partage de l’espace par des entreprises tierces.
Dans tous les cas, aussi bien du côté du preneur que du nouvel usager des lieux, ce qui est recherché est la souplesse et l’adaptabilité.

Ce qui pose une vraie difficulté, notamment lorsque le bien loué est l’objet d’un bail commercial, dès lors que le seul statut des baux commerciaux, d’ordre public, semble ne permettre qu’un rattachement à la sous-location, au régime plutôt contraignant.
Il est vrai que ce statut, actuellement réglementé aux articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce, résulte prioritairement d’une codification « à droit constant » du décret du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, lequel n’avait évidemment pas anticipé ces évolutions.

Certes, en jurisprudence, on avait pu déceler des solutions permettant d’écarter ce statut, mais la prudence demeurait cependant de mise pour les praticiens.
C’est l’objet d’un arrêt rendu le 27 juin 2024 que de répondre à cette préoccupation d’adaptation de notre droit en posant des lignes claires.

L’affaire

Une SCI, propritaire de locaux à usage de stockage et de bureaux, les avait donné à bail à une entreprise, avec pour activité la mise à disposition en libre-service auprès des entreprises et des particuliers de surfaces de petites dimensions modulables destinées à l’entreposage, le stockage ou l’archivage de marchandises, matériels ou consommables et accessoire destinés à l’emballage.
Le dit bail prévoyant spécialement l’interdiction de la sous-location sans le consentement du bailleur.

Quelques mois plus tard, le balleiur avait eu la surprise de découvrir à l’entrée des locaux un panneau « bureaux à louer », et de constater que les noms de 17 sociétés figuraient sur la boîte aux lettres.
Il avait donc agi en Justice, aux fins de réajuster le montant du loyer pour tenir compte des sous-locations existantes, et ce, au visa notamment de l’article L. 145-3 1 alinéa 3 du Code de commerce :

  • « lorsque le loyer de la sous-location est supérieur au prix de la location principale, le propriétaire a la faculté d’exiger une augmentation du loyer de la location principale, dont le montant, à défaut d’accord entre les parties, est déterminé selon une procédure fixée par décret en Conseil d’Etat, en application des dispositions de l’article L. 145-56 du code du commerce ».

Devant la Cour d’appel de Rennes, les parties s’opposaient sur la qualification du contrat : prestation de service pour le preneur qui se considérait comme un « centre d’affaire », ou sous-location pour le bailleur .

C’est la seconde branche de l’option qui avait été choisie par la juridiction, aux motifs notamment que :

  • « Le contrat de mise à disposition d’un bureau au profit d’une entreprise mentionne précisément le numéro de bureau qui lui est affecté ainsi que sa surface.
  • « Ce contrat prévoit une contrepartie financière qui est fixée notamment en fonction de la superficie du bureau et pas seulement par la prestation de services. En effet, les bons de commande mentionnent comme libellé de la prestation [du preneur] ‘prestations de services et mise à disposition du bureau de 14m2 par mois’ …
  • « Ce contrat indique que les entreprises ayant souscrit le contrat ont accès à leur bureau sept jours sur sept et vingt quatre heures sur vingt quatre, qu’elles s’engagent à le maintenir dans un bon état d’entretien et en assurent la fermeture. S’agissant de la durée des contrats de mise à disposition, elle est fixée à un mois mais renouvelable par tacite reconduction […]. Cette mise à disposition ne peut ainsi être qualifiée de temporaire et précaire […]. Au contraire, il résulte de ces éléments que les entreprises ayant conclu le contrat de mise à disposition avec [le preneur] disposent d’une jouissance exclusive du bureau qu’elles louent sans limitation dans le temps.
  • « Il en résulte que la prestation essentielle du contrat passé avec [le preneur] est bien la mise à disposition de bureaux et non la fourniture de prestations. Les prestations fournies comme l’entretien, l’accueil et la sécurité, l’assurance et la wifi ne sont, en l’espèce, que des prestations accessoires à la fourniture de bureaux« .

Ainsi, la Cour d’Appel de Rennes avait strictement appliqué une logique tirée du statut des baux commerciaux.

La solution

Aux termes de son arrêt du 27 juin 2024, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu à Rennes, aux motifs suivants :

« Vu les articles 1709 du code civil et L. 145-31, alinéa 3, du code de commerce :
« Aux termes du premier de ces textes, le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer.
« Aux termes du second, lorsque le loyer de la sous-location est supérieur au prix de la location principale, le propriétaire a la faculté d’exiger une augmentation du loyer de la location principale, dont le montant, à défaut d’accord entre les parties, est déterminé selon une procédure fixée par décret en Conseil d’Etat, en application des dispositions de l’article L. 145-56 du code du commerce.
« La qualification de sous-location, au sens de l’article L. 145-31 du code de commerce, est exclue lorsque le locataire met à disposition de tiers les locaux loués moyennant un prix fixé globalement, qui rémunère indissociablement tant la mise à disposition des locaux que des prestations de service spécifiques recherchées par les clients.
« […] Alors qu’il résultait de ses constatations que la redevance fixée globalement rémunérait indissociablement tant la mise à disposition de bureaux équipés que les prestations de service spécifiques recherchées par les clients, la cour d’appel, par des motifs impropres à caractériser des contrats de sous-location au sens de l’article L. 145-31 du code de commerce, a violé les textes susvisés ».

Il s’agit là, manifestement, d’un arrêt de principe, ce dont témoignent tant la rédaction, qui fait apparaître le positionnement de la problématique et la solution générale qui doit lui être donnée, que sa publication au bulletin des arrêts de la Cour de cassation.

En pratique

Ainsi, la Cour de cassation fait prévaloir la seule finalité d’une opération indissociale orientée vers la fourniture de services, nonobstant leur localisation précise dans les lieux loués.
En cela, elle nous dit que l’architecture traditionnelle de notre droit, caractérisée par une composition entre la propriété immobilière et la propriété commerciale selon un arbitrage inscrit dans le marbre d’un statut, doit céder devant les nouvelles réalités.
En rejetant des notions juridiques anciennes, telles la règle selon laquelle l’accessoire suit le principal (« Accessorium sequitur principale », « Major pars trahit ad se minorem »), comme pour mieux nous signifier sa conscience de ce que les choses ont changé.

Il faut évidemment en tirer des enseignements, notamment pour l’agent immobilier qui, notamment, pourra mieux éclairer tout candidat à la location d’espaces commerciaux ou professionnels sur les incidences d’une occupation des locaux pouvant évoluer vers une telle fourniture de services à des tiers – pour autant que la destination des locaux telles que visée au bail en laisse la possibilité.

Pour autant, on ne saurait trop recommander aux gérants de centres d’affaires et; de manière générale, à tout preneur mettant à disposition de tiers un espace de travail et des prestations associées, d’intégrer désormais dans la rédaction de leurs contrats, de manière prédominante, la notion globale de services, en contrepartie d’une redevance également globale – quitte, le cas échéant, à prévoir des forfaits différenciés en fonction du niveau de prestations.
A contrario, on les mettra en garde contre toute rédaction comportant des forMules ambigues faisant référence à des notions empruntées au baux commerciaux, par exemple à travers la désignation de la contrepartie pécuniaire comme loyer, ou des services comme objets de charges.

 

* Cass. 3ème civ., 27 juin 2024, n° 22-22.823 et n° 22-24.046