Aléa dans l’exécution de travaux de réhabilitation et devoir de conseil du CGP et du notaire
« Si cela va sans le dire, cela ira encore mieux en le disant » : cette fulgurance de Talleyrand doit servir de matrice à l’exécution de sa mission de conseil par le professionnel qui en a la charge.
Telle est la position de la Cour de cassation appliquée au conseil en gestion de patrimoine et au notaire, aux termes d’un arrêt en date du 4 juillet 2024.
En 2004, un conseiller en gestion de patrimoine avait proposé à un investisseur l’acquisition, aux fins de défiscalisation, de lots dans un programme de réhabilitation d’une clinique devant être transformée en immeuble d’habitation de trente-neuf logements destinés à la location.
Par suite, quatre de ces lots avaient été acquis par ledit investisseur, aux termes d’un acte authentique reçu par un notaire.
Les travaux de réhabilitation, initialement prévus pour 18 mois, avaient cependant pris un retard considérable à la suite notamment d’un placement en liquidation judiciaire de l’entreprise qui en avait la charge, et avaient finalement été achevés au bout de 6 années.
En 2013, l’investisseur assigne le conseil en gestion de patrimoine ainsi que le notaire, aux fins de réparation des préjudices subis.
Onze années plus tard, la Cour de cassation se prononce donc par ce nouvel arrêt, qui pose avec une grande clarté les principes applicables en la matière, aux fins d’ouvrir la voie à la responsabilité de ces professionnels.
Le fondement commun de la solution est tout simplement celui de la responsabilité délictuelle, et l’article 1240 du Code civil, aux termes duquel :
Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Ce texte se retrouve appliqué aussi bien au CGP qu’au notaire :
« Pour rejeter la demande d’indemnisation de [l’investisseur], l’arrêt retient qu’il a été destinataire d’une étude fiscale complète du projet, établie par un avocat fiscaliste, de sorte qu’il ne peut prétendre avoir ignoré que l’opération de réhabilitation était affectée d’un aléa quant à la réalisation des travaux.
En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que [le CGP] avait exécuté son obligation d’information et de conseil en appelant l’attention de [l’investisseur] sur l’ensemble des risques du placement proposé, notamment ceux inhérents à la conduite des travaux de réhabilitation et à un possible retard dans leur exécution, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
« Pour écarter la responsabilité du notaire et rejeter la demande indemnitaire formée à son encontre, l’arrêt retient que [l’investisseur] a été mis en garde sur les risques de l’opération par la remise d’une étude fiscale complète, de sorte qu’il ne pouvait ignorer que tout investissement dans une opération de réhabilitation, qu’il soit ou non de nature fiscale, comporte nécessairement une part aléatoire quant à la conduite des travaux, que le préjudice par lui invoqué résulte des difficultés survenues dans la réalisation des travaux que le notaire, qui n’a pas participé à la désignation de l’entreprise générale et dont il ne pouvait prévoir la défaillance, n’a pas à assumer.
En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser le respect, par le notaire, de son devoir de conseil et, le cas échéant, de mise en garde de [l’investisseur] en ce qui concerne notamment les conséquences et risques des stipulations convenues, lesquels comprenaient les aléas liés à la réhabilitation de l’immeuble, quelles que soient les connaissances personnelles de l’intéressé, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Au-delà de la spécificité de l’office du notaire, qui à la différence du CGP se voit investi d’un devoir de mise en garde, la leçon de l’arrêt est double.
- D’une part, le devoir de conseil doit porter sur la totalité des risques du placement proposé, c’est-à-dire non seulement ceux liés directement aux aspects financiers, mais également ceux qui ont une incidence sur la rentabilité de l’opération,
- D’autre part, les conseils reçus par ailleurs par l’investisseur, ses connaissances personnelles de l’intéressé, voire son simple bon sens – si, si : des travaux ne sont pas toujours exécutés en temps et en heure et dans le respect du budget convenu ! –, ne suffisent pas à exonérer le professionnel du devoir de conseil qui constitue l’objet même de sa mission.
Ainsi, dans l’exercice d’une mission de conseil, il n’y a pas d’évidence, seulement des obligations.
Cass. civ., 4 juill. 2024, n° 23-12.670