La responsabilité civile de l’agent à l’épreuve des insuffisances de l’aquéreur
Le recours à un agent immobilier est, en principe, la garantie pour le mandant qu’il n’est pas seul face à une opération qui engage son patrimoine de façon substantielle, et qu’il peut bénéficier de l’expertise de ce professionnel tenu d’un devoir d’information et de conseil particulièrement dense et exigeant. Avec, à la clef, la possibilité d’engager la responsabilité de l’agent en cas d’inexécution préjudiciable.
C’est ce que rappelle le 7 mai 2024 la Cour d’Appel de Rennes dans un arrêt particulièrement pédagogique, qui synthétise l’état de la jurisprudence :
Aux termes de l’article 1240 du code civil, ‘tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer’.
L’agent immobilier doit veiller à ce que les actes qu’il accomplit soient valables et pleinement efficaces.
Il est ainsi tenu d’une obligation de renseignements et de conseil et doit notamment donner des informations loyales sur l’état du bien.
Il a l’obligation de renseigner l’acheteur sur les désordres apparents affectant l’immeuble.
L’agent immobilier manque à son devoir de conseil s’il omet d’informer l’acheteur sur l’existence de désordres apparents affectant l’immeuble vendu et qu’en sa qualité de professionnel de l’immobilier, il ne peut ignorer.
Ce devoir d’information et de conseil impose également à l’agent d’informer l’acquéreur de tous les risques que lui fait courir l’opération afin notamment de lui éviter de signer un engagement préjudiciable à ses intérêts.
La responsabilité de l’agent immobilier peut donc être recherchée pour ne pas avoir indiqué à l’acquéreur certaines informations qu’il connaissait ou aurait dû connaître, s’il s’était suffisamment renseigné auprès du vendeur ou de tout tiers détenant une information sur un élément essentiel de l’opération immobilière envisagée.
Le cadre juridique étant posé, il n’en résulte pas que l’agent immobilier soit en situation d’infériorité lorsque sa responsabilité est mise en cause, car il faut alors passer à l’analyse concrète des manquements qui lui sont reprochés , au regard des preuves apportées par les parties.
En l’espèce, un acquéreur avait signé un compromis de vente pour un appartement, dont le prix tenait compte de travaux de copropriété d’ores et déjà décidés. Peu avant la date prévue pour la réitération, l’agent immobilier avait transmis un rapport de diagnostic technique faisant apparaître l’ampleur des dégradations du bâti. Ce qui avait alors ouvert un nouveau délai de rétractation. Finalement, après qu’il lui ait été fait en vain sommation de réitérer la vente, le vendeur avait assigné l’acquéreur en vente forcée et paiement de la clause pénale visée au compromis. Cette action ayant donné lieu à une transaction, l’acquéreur avait entrepris d’engager ensuite la responsabilité de l’agent immobilier en invoquant des manquements à son obligation d’information et à son devoir de conseil.
Cette action échoue, la Cour jugeant d’abord que l’acquéreur « ne peut reprocher à l’agent une quelconque défaillance dans son devoir de conseil, alors qu’il disposait de toutes les informations pour renoncer à la vente, reculer la signature du compromis ou négocier de plus fort le prix de vente » ; ce qui en faisait, selon elle, « l’artisan de son propre préjudice ».
La Cour juge ensuite que l’acquéreur ne peut prétendre avoir été trompé sur la description du bien qu’il avait visité, et qu’il était parfaitement en mesure, le cas échéant, de demander à faire une seconde visite.
Cette décision est conforme à la jurisprudence habituelle, et pour tout dire assez rassurante. Car la responsabilité de l’agent immobilier est de permettre une acquisition en toute connaissance de cause. Elle n’est pas là pour compenser des erreurs ou légèretés dans une décision d’acquérir prise par un individu normalement diligent et attentif, mais pour renforcer sa pertinence.
Il est vrai qu’en l’espèce, la situation pouvait être apparaître caricaturale quant à l’incapacité d’un acquéreur à assumer ses propres choix et en tentant de se défausser sur l’agent. Mais elle a pu apparaître comme telle, aux yeux des magistrats, notamment parce que l’agent immobilier avait mis son conseil en possession d’un dossier complet et étayé, qui démontrait sans contestation possible qu’il avait rempli ses obligations, et que l’échec de l’opération trouvait son origine d’abord dans les insuffisances de l’acquéreur lui-même.
Car un débat judiciaire sur la responsabilité civile d’un agent immobilier, même engagée à mauvais escient, est toujours porteur d’un aléa – sans compter les tracasseries en tous genres et frais annexes qu’il engendre. L’agent ne se protège pas seulement en exécutant ses obligations avec conscience et compétence, mais en étant en mesure d’en faire la preuve. On n’insistera jamais assez sur la nécessité de se prémunir en prenant les moyens de retracer la qualité de son accompagnement, notamment par des échanges écrits et des comptes-rendus réguliers.
CA Rennes, 1re ch., 7 mai 2024, n° 21/04682