Erreur dans le prix de vente et responsabilité conjointe de l’agent immobilier et du notaire

Il ne peut y avoir de confusion entre le prix de vente « net vendeur » n’est pas le prix « honoraires d’agence inclus » : c’est la base du métier d’agent immobilier, car la différence entre les deux notions est tout simplement le salaire de son travail.
Mais lorsque, malgré tout, une telle confusion intervient, quelles en sont les conséquences, et qui doit les assumer ?

C’est la question posée par un intéressant arrêt rendu par la Cour d’Appel de Paris, le 28 juin 2024.

Des indivisaires avaient décidé de vendre le bien immobilier indivis, et à cette fin, avaient mandaté un agent immobilier, le mandat mettant les honoraires d’agent à leur charge.
Les diligences de l’agent étaient fructueuses, puisqu’un acquéreur était trouvé, moyennant un prix de 1 630 000 €.
Par suite, l’agent celui-ci avait fait part au notaire en charge de la vente des conditions celle-ci, savoir un prix de 1 553 000 €, et des honoraire de 77 000 € ; et de leur côté, les indivisaires avaient indiqué à leur notaire un mail confirmant que le prix de vente était de 1 630 000 €.
C’est dans ces conditions que la vente avait été conclue, la promesse de vente aussi bien que l’acte réitératifs ayant stipulé un prix de 1 553 000 €.
Un différend est cependant survenu ultérieurement, l’agent ayant sollicité la libération de ses honoraires, lesquels avaient fait l’objet d’un séquestre chez le notaire en charge de la vente.

Les indivisaires ont donc agi en Justice à l’encontre tant de l’agent que des deux notaires intervenus de part et d’autre.
Ils ont d’abord bord la libération à leur profit du séquestre constitué entre les mains de ce dernier, au motif de la nullité du mandat de l’agent, à qui ils opposaient un certain nombre de griefs surtout formels.
Ils ont aussi prétendu engager la responsabilité civile de l’agent, pour avoir transmis des informations erronées au notaire, mais également la responsabilité de celui-ci, en raison de la confusion entre le prix net vendeur avec un prix de vente commission comprise.

La Cour d’appel de Paris accueille partiellement leurs prétentions.
Dans un premier temps, la Cour rejette la demande de nullité du mandat, aux termes d’un rappel méthodique de la jurisprudence applicable, dans son dernier état

L’évolution du droit des obligations résultant de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, d’après laquelle la nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général et relative lorsque cette règle a pour objet la sauvegarde d’un intérêt privé, a conduit la Cour de cassation à apprécier différemment l’objectif poursuivi par certaines des prescriptions formelles que doit respecter le mandat de l’agent immobilier et à décider que, lorsqu’elles visent la seule protection du mandant dans ses rapports avec le mandataire, leur méconnaissance est sanctionnée par une nullité relative (Ch. mixte, 24 février 2017, pourvoi n° 15-20.411, en cours de publication) ;

Dans les rapports entre les parties au mandat, le non-respect de son formalisme légal, qui a pour objet la sauvegarde des intérêts privés du mandant, entraîne une nullité relative, laquelle peut être couverte par la ratification ultérieure des actes de gestion accomplis sans mandat ;

Le formalisme du mandat de gestion immobilière, tel que prescrit par les articles 1er et 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, dans leur rédaction issue de la loi n° 94-624 du 24 juillet 1994, et 64, alinéa 2, du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, qui sont d’ordre public, a pour objet, dans les rapports entre les parties, la sauvegarde des intérêts privés du mandant ; il s’ensuit que son non-respect entraîne une nullité relative, laquelle peut être couverte par la ratification ultérieure des actes de gestion accomplis sans mandat (1re Civ., 20 septembre 2017, pourvoi n° 16-12.906) ;et 64, alinéa 2, du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, qui sont d’ordre public, a pour objet, dans les rapports entre les parties, la sauvegarde des intérêts privés du mandant ; il s’ensuit que son non-respect entraîne une nullité relative, laquelle peut être couverte par la ratification ultérieure des actes de gestion accomplis sans mandat (1re Civ., 20 septembre 2017, pourvoi n° 16-12.906) ;

Pour autant, la Cour retient la responsabilité civile tant de l’agent que du notaire, aux motifs suivants :

Il convient de considérer que [l’agent], en qualité d’agence immobilière, a commis une faute contractuelle en ne vendant pas le bien au prix de 1.630.000 € convenu entre les vendeurs et l’acquéreur dont elle était informée, soit en écrivant dans son courriel du 16 janvier 2020 aux notaires (…), au titre des conditions convenues les sommes de ‘1.553.000 €’ et en dessous ‘77.000 € TTC honoraires [agent], à la charge des vendeurs’, ces termes induisant en erreur en laissant penser que les acquéreurs ne devaient régler que la somme de 1.553.000 € au lieu de 1.630.000 € ; sa responsabilité contractuelle est engagée à l’égard des [vendeurs] à ce titre ;

Cette faute de l’agence immobilière n’exonère pas les notaires de leur responsabilité puisqu’ils étaient informés par le mail [d’un des indivisaires] à son notaire (…) le 11 janvier 2020 que les acquéreurs avaient validé le prix de 1.630.000 € frais d’agence inclus ;

Il y a lieu d’estimer que les notaires des vendeurs et des acquéreurs, débiteurs de l’obligation d’assurer l’efficacité des actes auxquels en leur qualité de notaire instrumentaire, ils ont prêté leur concours, ont commis une faute dans la rédaction de l’acte notarié de la promesse de vente du 21 février 2020 et de l’acte notarié de réitération du 12 juin 2020, en mentionnant le prix de 1.553.000 € au lieu de 1.630.000 €, alors qu’ils étaient informés que le prix de vente était de 1.630.000 € ;

Le fait que les [indivisaires] n’ont signalé le montant erroné du prix que par courriel du 23 juin 2020, soit après la signature de la promesse de vente du 21 février 2020 et de la réitération de la vente du 12 juin 2020, n’exonère pas l’agence immobilière ni les notaires de leur responsabilité puisque les consorts [N] contrairement à ceux-là ne sont pas des professionnels de la vente immobilière ;

Les termes de cet arrêt sont suffisamment clairs quant à la responsabilité de l’agent, à qui a donc été imputée une faute originelle constituée par son absence de précision dans les informations transmises au notaire.Mais Il faut aller au-delà, car il eût été aisé de rectifier.
L’agent avait-il négligé de prendre connaissance des actes rédigés par le notaire ? Ou cette connaissance n’avait-elle été que distraite ?
On ne redira jamais assez que le salaire de l’agent se mérite, et qu’il implique un accompagnement rigoureux et diligent, tout au long du processus de vente.

Quant aux notaires, force est de constater qu’en l’espèce, c’est vraisemblablement un traitement un peu routinier du dossier de vente qui les ont conduits à ne se fier qu’aux informations transmises par l’agent et à l’interprétation qu’ils en avaient faite.
Et ce traitement, à l’évidence, n’a pas laissé de place à la vérification de l’adhésion des vendeurs sur l’objet même de leur acte.

CA Paris, pôle 4 ch. 1, 28 juin 2024, n° 23/01930