Du bon de visite

 

A propos d’un arrêt de la Cour d’Appel de Caen du 30 juillet 2024 *

Parmi les outils de l’agent immobilier figure en bonne place le bon de visite, qui matérialise la première rencontre entre un vendeur, tout au moins son bien, et un acquéreur potentiel, sous les auspices de l’agent
Ce document va être le point de départ réel du processus qui conduira à la concrétisation de la vente et à la perception de la commission.
Pour autant, à lui seul, le bon de visite n’a aucune existence légale selon la loi Hoguet du 2 janvier 1970 ; et hors de ce dispositif qui, seul fonde le droit à commission de l’agent, il n’a qu’une portée très limitée, ainsi que le rappelle la Cour d’Appel de Caen aux termes d’un arrêt rendu le 30 juillet 2024.

L’affaire

Un agent s’était vu confier un mandat de vente non exclusif par des coindivisaires d’un bien immobilier, ledit mandat contenant une clause pénale forfaitaire.
En exécution de sa mission, l’agent avait fait visiter le bien à des acquéreurs, à qui il avait fait signer un bon de visite, avant de recueillir une intention d’achat, par le biais d’une offre qui intégrait les honoraires de négociation.
L’offre ayant été jugée insuffisante par les vendeurs, une seconde visite avait eu lieu, vraisemblablement hors la présence de l’agent.
De fait, celui-ci avait ensuite appris que la vente du bien objet du mandat s’était réalisée par devant notaire, entre les vendeurs et les acquéreurs qu’il leur avait présentés.

L’agent avait alors assigné tant les vendeurs que les acquéreurs, et avait réclamé leur condamnation solidaire au paiement du montant visé par la clause pénale.

La solution

La Cour d’Appel de Caen fait droit à ses demandes contre les vendeurs, mais épargne les acquéreurs.

On ne reviendra pas sur la litanie des griefs opposés par le vendeur à l’agent, selon la pratique usuelle consistant à demander la nullité du mandat en le passant au crible de la Loi Hoguet pour en demander la nullité, au prix d’une lecture souvent excessivement pointilleuse.
De fait, la Cour y répond point par point en confirmant tant la validité du mandat que celle de la clause pénale, dont elle fait une application rigoureuse, mais raisonnable, pour les condamner au paiement de la commission due à l’agent.

Quant aux acquéreurs, ils sont mis hors de cause, au regard d’abord de la nature et de la portée du bon de visite :

  • « Il est constant que le bon de visite n’a pas de valeur juridique et notamment contractuelle dans les relations entre les visiteurs éventuels acquéreurs et l’agence immobilière mandataire des vendeurs en charge de la cession;
  • Ainsi le bon de visite en lui-même qui est produit aux débats ne peut pas constituer un contrat ni établir une relation de cette nature entre les parties intéressées ;
  • Ce document constitue une preuve écrite de la visite réalisée dans les relations vendeurs/agent immobilier …
  • Ce bon de visite d’ailleurs ne comporte aucune formule d’engagement qui soit efficace puisque les visiteurs n’ont aucune connaissance des mandats remis à [l’agent] Immobilier ni de leur durée, comme ils ne connaissaient absolument pas le montant de la commission due par les vendeurs sur le paiement de laquelle ils s’obligeaient…
  • Il ne peut pas être appliqué une sanction prévue par un contrat, un mandat qui a été signé uniquement avec les vendeurs, la précision de la reconnaissance de la liste des biens immeubles visités par l’intermédiaire de [l’agent] n’étant pas de nature à modifier cette situation…
  • A défaut de faute contractuelle, [l’agent] entend mettre en cause la responsabilité délictuelle des acquéreurs sur le fondement de l’article 1240 du code civil et selon les dispositions de l’article 1242 du même code en soutenant que les acquéreurs ont commis une faute devant notaire en déclarant avoir été mis en relation avec les vendeurs par l’intermédiaire dudit notaire ;
  • [Les acquéreurs] n’avaient pas à contrôler de quelque manière que ce soit, les relations contractuelles issues du mandat établi entre leur vendeurs et [l’agent];
  • La mise en relation des acheteurs avec [les vendeurs] en vue de la vente, a en tout état de cause eu lieu également par l’intermédiaire de maître [du notaire] pour le prix qui a été arrêté et ce d’autant qu’il n’y a jamais eu de mandat exclusif donné à l’agent immobilier en cause;
  • Ce qui permettait [aux acquéreurs] de contacter et de se rapprocher de tous les professionnels habilités à vendre la maison d’habitation en cause pour y rechercher les conditions financières les plus favorables pour eux».

L’exclusion de toute valeur contractuelle du bon de visite envers l’acquéreur non signataire d’un mandat se comprend sans peine, dès lors que selon la loi Hoguet, par principe, seule l’existence d’un mandat peut engendrer des obligations.

Mais hors d’un lien contractuel, le recours à la responsabilité civile délictuelle doit toujours être ouvert, ce qui semble aller de soi.
Or, on se permettra d’observer qu’en l’espèce, la Cour se montre bien indulgente avec des acquéreurs qui, de toute évidence, savaient que l’intermédiation avait été à l’origine de la vente, et qui ont pourtant déclaré le contraire au sein de l’acte authentique.
Comme si la non-application de la loi Hoguet, qui évince toute notion de loyauté contractuelle,  avait ouvert à leur égard, un droit à la déloyauté envers l’agent, qui se retrouve donc avec une protection inférieure de la loi.

En pratique

Pour n’avoir pas de valeur contractuelle en soi, le bon de visite n’en a pas moins de valeur probatoire majeure envers le vendeur, ce qui permettra à l’agent de mieux faire valoir ses droits, et il ne doit donc pas être négligé.
Même s’il sera toujours prudent de mettre en place d’autres outils, notamment par des comptes-rendus de visite ou tous autres échanges électroniques, qui permettront de le corroborer.

N’oublions pas, aussi, que lorsqu’il est régularisé par un acquéreur signataire d’un mandat de recherche, il aura également pour vertu de rappeler à celui-ci les engagements pris envers l’agent ; ce qui permettra, le cas échéant, de mieux défendre le montant de la clause pénale s’il se révèle nécessaire de la chercher en Justice

* Cour d’appel de Caen, 1re chambre civile, 30 juillet 2024, n° 21/01900