De la sélection des locataires par l’agent immobilier

A propos d’un arrêt de la Cour d’Appel de Chambéry du 25 juin 2024 *

Dans un marché locatif en crise, où la demande est clairement supérieur à l’offre, le pouvoir appartient évidemment aux bailleurs, lesquels peuvent exercer le choix de leur locataire avec discernement, de manière à éviter autant que possible tout impayé locatif.
Toutefois, ce discernement ne s’improvise guère, et c’est justement une des missions de l’agent immobilier, professionnel de la location.
Encore cette mission doit-elle être exercée avec compétence et diligence, ce que rappelle la Cour d’Appel de Chambéry dans un arrêt du 25 juin 2024.

L’affaire

Un couple avait confié à un agent immobilier un mandat de location sans exlusivité, aux fins de trouver un locataire pour leur appartement.
Mission exécutée, au profit d’un jeune couple, qui présentait un montant de revenus actuels jugé suffisant.
Or, ces locataires devaient rapidement se retrouver défaillants dans le paiement des loyers.

Saisi par les bailleurs, le juge des référés avait constaté l’acquisition de la clause résolutoire et prononcé l’expulsion des locataires, ce qui avait donc permis la reprise du bien ; sans pour autant que puisse être recouvré l’important arriéré locatif – lequel représentait, en l’espèce, plus de deux années de loyers.

Par suite, les bailleurs ont fait délivrer assignation à l’agent immobilier, au motif d’un manquement à ses obligations contractuelles.

La solution

La Cour d’appel de Chambéry retient la responsabilité de l’agent, en des termes dénués d’ambiguïté :

  • Compte tenu de la précarité de la situation professionnelle des intéressés, l’agence immobilière aurait dû, de toute évidence, procéder à une vérification plus approfondie de leur solvabilité, notamment en sollicitant leurs trois derniers bulletins de paie, ce qui aurait permis de constater qu’ils avaient connu une longue période de chômage avant la signature de leur contrat de travail saisonnier.
  • [L’agent] aurait dû en tout état de cause, au titre de son devoir de conseil, alerter les bailleurs, qui étaient des non-professionnels âgés, sur l’existence d’un risque important d’impayés locatifs lié à cette précarité, ce qu’elle n’allègue ni a fortiori ne démontre avoir fait.
  • Cette situation aurait également dû conduire le mandataire immobilier à exiger de la part des locataires des garanties plus sérieuses, en particulier la fourniture d’une caution solidaire pour chacun d’entre eux.
  • Etant observé que contrairement à ce qu’indique l’intimée, aucune disposition légale ou réglementaire n’interdit de demander une caution lorsque les revenus des locataires sont plus de trois fois supérieurs au montant du loyer, ce d’autant qu’en l’espèce, lesdits revenus présentaient intrinsèquement un caractère irrégulier.
  • L’agence aurait dû à tout le moins informer ses mandants de la possibilité de solliciter une tel engagement ou d’obtenir une garantie de la part d’Action Logement dans le cadre du dispositif Visale
  • Il ne peut par ailleurs être utilement reproché aux bailleurs d’avoir refusé d’encaisser le chèque de caution … qui leur a été remis à la signature du bail, dès lors que ledit chèque était au nom d’un tiers, et que rien n’indique qu’ils auraient su qu’il s’agissait de la mère de [l’un des locataires].
  • Il ne peut qu’être considéré en conséquence que l’agence immobilière a également manqué à son obligation de solliciter le versement d’un dépôt de garantie.
  • Au vu de ce qui précède, plusieurs manquements contractuels de l’agence immobilière se trouvent bien caractérisés.

Quant au préjudice, et de manière usuelle en matière de responsabilité civile professionnelle, la Cour le détermine par référence à la notion de perte de chance.
Celle-ci est évaluée à 60 % de l’impayé locatif, et à 95% des frais induits par la procédure d’expulsion.

En pratique

Pour tout dire, la Cour d’appel de Chambéry n’innove en rien, ne faisant qu’appliquer une solution ancienne et éprouvée.
Car il y a plus de 40 ans que la Cour de cassation juge que l’agent immobilier auquel est confiée la gérance d’un appartement est tenu, « en tant que mandataire salarié, de s’assurer par des vérifications sérieuses de la solvabilité réelle du preneur » (Cass. com. Cass. 1re civ., 28 mars 1984, n° 82-16.915, Bull), la solution étant maintes fois réitérée depuis, par l’ensemble des juridictions.

Etant rappelé que l’obligation de vérification n’est pas sans limite, puisque l’article 22-2 de la n° 89-462 du 6 juillet 1989 et son décret d’application n° 2015-1437 du 5 novembre 2015 encadrent strictement la nature des pièces pouvant être demandées aussi bien aux preneurs qu’aux cautions.

L’arrêt n’en est pas moins intéressant, en ce qu’il a valeur pédagogique : il met en perspective la négligence d’un agent avec les pratiques habituelles de la profession ; pratiques qui, en réalité, n’apparaissent elles-mêmes que comme une codification du bon sens.
De fait, si une intermédiation au titre d’une mise en location ne peut jamais engendrer une quelconque obligation de résultat, ce qui est aisément compréhensible, la mise en œuvre des moyens utiles n’en a pas moins pour effet de réduire drastiquement les risques d’impayé.
L’agent immobilier ne devrait jamais s’en écarter : c’est l’essence de sa mission, et la confiance du public est à ce prix.

* CA Chambéry, 1re ch., 25 juin 2024, n° 21/02119, à lire sur Doctrine.fr