Cumul des fonctions, cumul des obligations : le sort de l’agent-syndic
Les métiers de l’immobilier sont multiples, et un agent peut cumuler plusieurs rôles : celui de mandataire du vendeur, d’intermédiaire à la vente et de syndic de l’immeuble.
Un cumul qui, loin de simplifier la donne, impose une exigence renforcée en matière d’information et de conseil.
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Douai le 20 mars 2025 en est une illustration frappante : un manquement à ce devoir a été sanctionné lorsque l’agent n’a pas informé l’acquéreuse de travaux de copropriété imminents… qu’il avait lui-même provoqués sous son autre casquette.
L’affaire
Un syndic de copropriété s’était vu confier un mandat de vendre un lot de copropriété constitué d’un garage, au sein d’un immeuble dont il avait la gestion.
Peu après la vente, l’acquéreuse s’était vu délivrer par le syndicat des copropriétaires de l’immeuble une injonction de payer, portant sur un appel de fonds d’un montant de 2 700 €, au titre de travaux de réfection du parking votés lors d’une assemblée générale qui s’était tenue quelques jours après la réitération, alors que les vendeurs avaient omis de transmettre la convocation.
A raison de son ignorance au moment de la vente, l’acquéreuse avait formé opposition, puis recherché la responsabilité tant du vendeur que de l’agent-syndic.
En première instance, le tribunal judiciaire avait retenu le manquement de l’agent et l’avait condamné à indemniser l’acquéreuse à hauteur de 4 000 €pour le préjudice financier et 1 000 €pour le préjudice moral, tandis que le vendeur, lui, avait été mis hors de cause.
Tant l’acquéreur que l’agent avaient interjeté appel.
La solution
Quant à l’action dirigée contre les vendeurs, la Cour d’Appel de Douaila rejette, au motif que que l’acquéreuse n’avait pu subir qu’une perte de chance d’y faire valoir ses droits, cependant nulle en raison de la large majorité qui y avait été favorable.
Elle adopte cependant une position différente au regard de l’agent.
A ce titre, la cour rappelle les principes juridiques applicables à la responsabilité professionnelle :
- « Il est constant que la responsabilité de [l’agent immobilier] pour les dommages subis par toutes les personnes parties à une opération dont l’échec est imputable à ses fautes professionnelles a un fondement contractuel à l’égard de ses clients, et délictuel à l’égard des autres parties (Cass. Civ. 1ère, 16 déc. 1992, n° 90-18.151, P).
- [L’agent immobilier] est ainsi tenu, en sa qualité de professionnel, d’une obligation générale d’information et de conseil à l’égard de [l’acquéreur] de l’immeuble vendu par son entremise, et doit notamment attirer son attention sur l’existence de désordres apparents et qu’en sa qualité de professionnel de l’immobilier, il ne peut ignorer (Cass. Civ. 1ère, 18 avril 1989, n° 87-12.053). »
En l’espèce, la cour relève que l’agent avait, en tant que syndic, commandé des devis en prévision de travaux et organisé leur mise au vote. Il détenait donc une information déterminante qu’il n’a pas transmise à l’acquéreuse :
- « [L’agent] ne peut avoir ignoré, en sa qualité de syndic de l’immeuble, les désordres affectant celui-ci à la suite d’inondations et pour la réparation desquels il avait sollicité en amont plusieurs entreprises en vue de la réalisation de devis, lesquels ont ensuite été présentés aux copropriétaires en annexe au courrier de convocation à l’assemblée générale. »
Il ne pouvait se contenter de transmettre des documents standards sans mention des travaux :
- « L’obligation d’information et de conseil de [l’agent] ne saurait avoir été satisfaite […] par la seule transmission à [l’acquéreuse] et au notaire des procès-verbaux des assemblées générales des trois dernières années, du carnet d’entretien et de l’état daté de l’immeuble, non versés aux débats et dont il n’est pas établi qu’ils auraient mentionné les travaux à effectuer dans le parking de l’immeuble. »
La cour retient donc une faute engageant la responsabilité de l’agent :
- « C’est à juste titre que le premier juge a estimé que [l’agent], agissant en sa qualité d’agence immobilière mandatée par [le vendeur], avait manqué à son devoir d’information et de conseil à l’égard de [l’acquéreuse]. »
Elle évalue la perte de chance de négocier à des conditions plus favorables à 90 % de la quote-part des travaux, soit 2 444,80 €, et accorde également 500 € au titre du préjudice moral.
Aiu-delà de la solution, dictée par un cumul de fonctions, la question peut se poser ce qu’aurait été la responsabilité du syndic, s’il n’était pas intervenu à la vente en tant qu’intermédiaire.
Il convient de rappeler que le syndic n’est pas tenu du même devoir de conseil que l’agent immobilier au moment de la transaction.
Ici, c’est bien le cumul des fonctions qui a ici renforcé les obligations : en tant qu’intermédiaire, l’agent était tenu d’informer l’acquéreuse de tout élément pouvant influencer son consentement, y compris ce qu’il savait par ailleurs en tant que syndic.
En pratique
La jurisprudence est claire : cumuler les rôles d’agent immobilier et de syndic oblige à un devoir de transparence absolue.
Ce n’est pas parce que l’information n’est pas encore juridiquement actée qu’elle n’est pas connue.
Et lorsqu’elle l’est, elle doit être révélée.
Dans une opération où l’agent se trouve en position d’interface complète entre les parties et la copropriété, la moindre rétention peut se muer en faute.
Le cloisonnement juridique des fonctions ne protège pas donc pas, puisqu’au contraire, il expose, en renforçant les devoirs de l’agent.
* Cour d’appel de Douai, 1re ch., sect. 1, 20 mars 2025, n° 22/02146