Du discernement de l’agent immobilier dans la vérification des droits de son mandant

A propos d’un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Rennes le 16 juillet 2024 *

Le métier d’agent immobilier consiste d’abord à être un intermédiaire pertinent pour des opérations immobilières de vente, d’achat, de location… .
Ce n’est que de manière accessoire, pour garantir les bonnes fins de son intermédiation et pour les besoins de l’exécution de son devoir de conseil? qu’il peut être amené sur le terrain de l’analyse juridique.
Mais là, il ne peut se défausser de sa responsabilité sur quiconque, aussi complexe soit la situation.
C’est ce que révèle la question de la vérification des pouvoirs de ses mandants sur le bien immobilier au regard duquel il est missionné.

L’affaire

Un agent immobilier s’était vu donner mandat par des indivisaires de vendre un bien immobilier dépendant de deux successions distinctes.
Après qu’il eût trouvé des acquéreurs, l’agent immobilier s’était chargé d’établir le compromis de vente, au nom des indivisaires, désignés comme titulaires de droit en pleine propriété.
Pour procéder à cette désignation, il s’était fondé sur une attestation de propriété établie dans le cadre de la seconde succession par la notaire en charge des affaires de la famille, laquelle lui avait transmis en lui indiquant qu’il existait une attestation de propriété établie par un autre notaire dans le cadre de la première succession, mais dont elle n’était pas en possession.
Or, quelques semaines plus tard, dans le cadre de la préparation de l’acte définitif, l’étude notariale levait un état hypothécaire, qui révélait l’existence de droits en usufruit sur le bien.
Ce qui, naturellement, faisait échec à la vente, dès lors qu’elle ne pouvait porter que sur des droits en pleine propriété.
Une procédure complexe s’engageait, à diverses fins sur lesquelles on ne s’étendra pas, mais à l’occasion de laquelle étaient recherchées les responsabilités tant de la notaire que de l’agent immobilier.

La solution

Par un arrêt du 16 juillet 2024, la Cour d’Appel de Rennes retient les deux responsabilités.

Elle le fait aux termes d’une décision dont l’abondante motivation se suffit à elle-même, et nous dispensera de toute paraphrase

Quant à la responsabilité de la notaire, la Cour expose que :

  • « Le notaire, qui est tenu à l’égard des parties d’assurer l’efficacité juridique de ses actes et d’un devoir d’information et de conseil lui imposant d’éclairer celles-ci et d’appeler leur attention de manière complète et circonstanciée sur la portée et les effets des actes qu’il rédige et sur les risques que les parties encourent, doit vérifier, par toutes investigations utiles, les déclarations qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnent la validité ou l’efficacité de l’acte qu’il dresse (1re Civ., 29 juin 2016, n° 15-17.591).
  • La jurisprudence adjoint au devoir de conseil l’obligation pour le notaire de procéder à des investigations et contrôles que l’efficacité de l’acte impose nécessairement (1re Civ., 12 mai 2011, n° 10-17.602), sous la réserve que l’officier public ait été en mesure d’accéder aux connaissances en cause (1re Civ., 29 mars 2017, n° 15-50.102) ou à tout le moins qu’il ait disposé d’éléments propres à lui faire douter de la véracité des informations fournies par les parties ou à suspecter une incohérence de l’acte ou lorsqu’il existe des raisons objectives ou des indices sérieux qui auraient dû le faire douter en raison de circonstances extérieures qui auraient dû éveiller sa curiosité ou encore du fait des éléments dont il disposait et dont il aurait dû vérifier la teneur (1re Civ., 22 sept. 2021, n° 19-23.506). (…)
  • Comme l’a retenu le tribunal, [la notaire] ne pouvait donc se dispenser de lever un état hypothécaire avant de rédiger son attestation immobilière. Elle aurait alors pris connaissance de l’attestation immobilière établie [dans le cadre de la première succession], mettant en évidence l’usufruit de [l’usufruitière], dont la mention n’aurait pas été omise dans [la seconde attestation immobilière]…
  • C’est donc sur la base de cette attestation immobilière erronée, qui n’a pu que faussement conforter les vendeurs dans la certitude de leur pleine et entière propriété, que l’agence immobilière a rédigé le compromis de vente litigieux.
  • Enfin, il n’est pas contesté que l’agence immobilière a soumis [à la notaire], en tant que notaire chargée de la réitération de l’acte authentique, un premier projet de compromis sur lequel la notaire a formulé des observations et demandes d’informations précises relatives au réseau d’assainissement, à la production d’un accord de financement bancaire des acquéreurs, à la condition suspensive de vente préalable du bien appartenant aux acquéreurs et à un complément d’information concernant la cuve à fuel. Un second projet a été adressé à l’étude notariale…
  • [La notaire] n’a formulé aucune observation ou demande de vérification quant à la mention figurant en page 2 du projet de compromis, selon laquelle « le vendeur déclare qu’il est seuls propriétaires des biens pour les avoir reçus par voie de succession aux termes [de la seconde attetation de propriété]».
  • Ce n’est que (…) après la signature du compromis (…) que [la notaire] a adressé une demande de renseignements au service de la publicité foncière, lesquels donnés dès le lendemain, ont mis en évidence l’existence de l’attestation après décès [antérieure], mentionnant les droits de [l’usufruitière].
  • Cette vérification aurait dû être effectuée par [la notaire] avant la signature du compromis à la rédaction duquel elle était associée. De fait, étant la notaire en charge de la signature ultérieure de l’acte authentique, [elle] ne pouvait se dispenser de vérifier les droits des vendeurs, en levant un état hypothécaire dès avant la signature de l’avant-contrat qui engageait les parties ».

L’agent immobilier, quant à lui, n’est pas épargné puisqu’il est au contraire épinglé au titre de sa responsabilité civile – sous la garantie de son assureur :

  • « L’agent immobilier, négociateur et rédacteur d’un acte, est tenu de s’assurer que se trouvent réunies toutes les conditions nécessaires à l’efficacité juridique de la convention.
  • Il est également tenu d’une obligation d’information, de conseil et de diligence pour que l’affaire qui lui a été confiée soit menée à bonne fin.
  • La responsabilité de l’agent immobilier peut en effet être engagée en raison du dommage subi par toutes les personnes parties à l’opération dont l’échec est imputable à ses fautes professionnelles indépendamment du fait de savoir s’il a agi sur instructions de son mandant. (…)
  • Le notaire a certes transmis à l’agence immobilière une attestation immobilière erronée, en ce qu’elle ne mentionnait pas les droits d’usufruit de [l’usufruitière], sur la base [de laquelle] le compromis litigieux a été rédigé.
  • Cependant, l’agence immobilière ne saurait s’exonérer de sa responsabilité en se retranchant derrière l’intervention du notaire et les négligences de ce dernier.
  • Dès le stade du mandat, l’agence immobilière, en tant que professionnelle de l’immobilier, devait vérifier les droits de ses mandants pour vendre le bien, sans pouvoir se contenter des déclarations de ces derniers.
  • Une fois le mandat signé, elle devait s’assurer des droits des vendeurs avant de rédiger le compromis de vente.
  • Or, par courriel (…), le notaire a attiré l’attention de [l’agent immobilier] qui était alors en cours de rédaction du compromis, sur l’existence d’une attestation immobilière établie après le décès [du propriétaire originaire], en précisant que l’étude n’était pas en possession de cet acte.
  • Compte tenu de cette information, l’agence immobilière aurait dû à l’instar du notaire, s’interroger sur les droits éventuels du conjoint survivant dans la succession [du propriétaire originaire] en prenant connaissance de l’attestation immobilière établie après le décès de ce dernier.
  • L’intervention du notaire ne dispensait pas l’agent immobilier d’opérer ses propres vérifications et de lever par lui-même un état hypothécaire, ce qui lui aurait permis de découvrir l’existence d’une usufruitière ».

En pratique

La sanction peut paraître sévère pour l’agent immobilier, qui a cru pouvoir se reposer sur une attestation de propriété établie par le notaire ; elle est cependant justifiée, en ce que ladite attestation avait été communiquée par la notaire en même temps qu’une information impliquant d’en relativiser la teneur, à tout le moins de la vérifier.
En bref, l’agent immobilier a une responsabilité qui le conduit à ne devoir se référer qu’à des sources fiables – ce que sont normalement les notaires… sauf lorsqu’il existe des indices qu’un acte de l’est pas.
En tant que membre d’une profession réglementée, censé agir dans l’intérêt du public, l’agent immobilier est directement responsable d’éventuels « trous dans la raquette », qu’il devrait être à même de déceler.

Il ne s’agit pas, pour autant, de transformer l’agent immobilier en expert du droit.
Il existe en matière immobilière un instrument de vérification simple : la publicité foncière, dont c’est précisément la vocation ; alors que les attestations immobilières, on le voit dans cette affaire, ne sont que des informations « de seconde main ».
On ne saurait donc trop recommander aux agents et collaborateurs, au moindre doute, de se référer à ce dispositif, de manière à éliminer toute incertitude.
En somme, c’est d’abord de vigilance de l’agent immobilier qu’il est question, et au-delà, de discernement.

 

* CA Rennes, 1re ch., 16 juill. 2024, n° 22/07477 (Source : https://www.doctrine.fr/)