Faute du CGP et prescription
A propos d’un arrêt de la Cour de casstion du 11 décembre 2024 *
Faire profession de conseil dans la gestion d’un patrimoine, c’est un métier qui, par essence, et au regard de son objet, appelle un fonctionnement sur le temps long.
Mais le temps long est aussi là où on ne l’attend pas : dans la sanction d’un manquement, puisque la prescription de droit commun qui lui est alors applicable, c’est-à-dire 5 années, trouve son point de départ non pas lorsqu’il se révèle, mais lorsqu’il produit son effet définitif, parfois de très nombreuses années plus tard.
En atteste un arrêt rendu le 19 décembre 2024 par la Cour de cassation.
L’affaire
En 2002, à la suite d’un démarchage, des époux avaient réalisé un investissement dans le cadre du dispositif Girardin.
Mais, en 2005, l’administration fiscale avait remis en cause les réductions d’impôt obtenues, au motif d’une non-conformité de l’investissement, et les rectifications avaient ensuite donné lieu à une mise en recouvrement en 2006.
Les investisseurs avaient alors saisi le Tribunal administratif aux fins de contester les rectifications fiscales, mais le recours avait été rejeté en 2014, avec confirmation par la Cour administrative d’appel en 2016 ; ils avaient ensuite saisi le Conseil d’Etat.
Entre-temps, en 2015, les investisseurs avaient saisi le Tribunal judiciaire à l’encontre des CGP en cause, ainsi que de leurs assureurs, aux fins d’obtenir réparation de leur préjudice financier.
En 2021, le Tribunal Judiciaire de Paris avait jugé ces demandes irrecevables, et la Cour d’Appel de Paris avait ensuite confirmé ce jugement par arrêt du 9 janvier 2023, au motif d’une prescription de l’action, dont elle avait fixé le point de départ au 31 mai 2006, date de l’avis de mise en recouvrement.
La solution
Par un arrêt du 11 décembre 2024, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris, au motif que :
- Aux termes de [l’article 2224 du Code civil], les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
- Il s’en déduit que le délai de prescription de l’action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur.
- Lorsque le dommage invoqué par une partie dépend d’une procédure contentieuse l’opposant à un tiers, il ne se manifeste qu’au jour où cette partie est condamnée par une décision passée en force de chose jugée ou devenue irrévocable et que, son droit n’étant pas né avant cette date, la prescription de son action ne court qu’à compter de cette décision
- Ainsi, en matière fiscale, le préjudice n’est pas réalisé et la prescription n’a pas couru tant que le sort des réclamations contentieuses n’est pas définitivement connu.
Ce dont il s’ensuitait que l’action en responsabilité engagée contre les CGP n’était pas prescrite à la date de l’assignation devant le Tribunal judiciaire.
A travers cette solution, la Cour de cassation n’innove guère, puisque le principe avait été exprimé à maintes reprises, et rappelé en dernier lieu par un arrêt de la Chambre mixte du 19 juill. 2024 (n° 22-18.729).
En pratique
Dans cette affaire, qui n’est pas un cas d’école, il avait fallu 13 années pour que l’investissement initial se transforme en action judiciaire ; sans compter le temps de cette même action, soit 9 années pour que la Cour de cassation se prononce, avec un renvoi devant la Cour d’appel de Paris augurant d’une décision définitive sans doute pas avant 2026.
Ce qui implique non seulement une grande résistance du CGP face à la réalisation du risque contentieux, mais aussi, du point de vue de sa défense, un risque immense de déperdition des preuves – spécialement celles qui permettront d’éclairer les circonstances dans lesquelles le conseil a été donné, de mettre en évidence les alertes et mises en garde, etc.
La question des archives devient alors centrale.
Cela concerne d’abord la durée de conservation, qui doit être quasi-illimitée, bien au-delà des recommandations ou prescriptions d’usage, mais également le type d’informations qui doivent être sauvegardées, bien au-delà de la documentation obligatoire, notamment avec les échanges de mails ou autres correspondances.