De la déontologie de l’agent immobilier au regard du processus de vente


A propos d’un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Colmar le 30 septembre 2024 *

 

Le code civil est formel : l’offre acceptée vaut vente, et en cas de refus de régulariser la vente, elle peut donner lieu à une action en Justice aux fins de forcer la vente, et son efficacité peut d’ailleurs être assurée par une prénotationn c’est-à-dire une mention provisoire et conservatoire portée au registre foncier.
La chose est connue, et devrait constituer le b.a.-ba de la pratique de l’agent immobilier, pour qui elle ne peut être sujet à débat.
C’est pourtant à ce sujet que la Cour d’Appel de Colmar a pu retenir la responsabilité d’un agent immobilier, aux termes d’un arrêt rendu le 30 septembre 2024.

L’affaire

Un agent immobilier s’était vu confier par des propriétaires d’un entrepôt un mandat de vente non exclusif.
Après que des associés d’une SCI aient émis deux propositions d’achat successives, l’agent leur avait confirmé l’acceptation de la seconde par les vendeurs.
Mais deux jours plus tard, l’agent avait informé la SCI qu’il avait reçu une meilleure offre, dont il avait informé les vendeurs ; et il avait cru bon d’ajouter, à l’adresse de l’acquéreuse : « je vous tiens au courant dès le début de la semaine et vous promets que je vous aiderai à vous trouver un autre bien si ce dossier ne devait finalement pas aboutir avec vous ».
En profond désaccord, la SCI avait mis les vendeurs en demeure de formaliser la vente en fonction de son offre acceptée, puis avait saisi le président du tribunal judiciaire aux fins d’être autorisés à inscrire une prénotation entraînant restriction au droit de disposer, avant de sommer les vendeurs de régulariser sans délai la vente convenue.
Finalement, la SCI et les vendeurs avaient signé un compromis, avant de procéder à une réitération par acte authentique.

Heurtée par le comportement de l’agent, la SCI acquéreuse l’avait assignée en versement de dommages et intérêts, estimant avoir subi un préjudice du fait des diligences qu’elle avait dû entreprendre aux fins de forcer la vente, à raison de l’erreur commise par l’agent qui avait transmis une vente concurrente alors que la vente était parfaite.
L’agent avait alors soutenu qu’il n’avait commis aucune faute, dès lors que selon lui la vente n’était pas parfaite sans compromis signé ou écrit entre les parties.

 

La solution

Aux termes de l’arrêt ici rapporté, la Cour d’Appel de Colmar a fait droit aux demandes des acquéreurs.

Quant à la faute de l’agent, elle juge que :

  • En vertu des dispositions de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
  • Selon l’article 1583 du code civil, la vente est parfaite entre les parties et la propriété acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé.
  • L’article 1113 du même code dispose que le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager. Cette volonté peut résulter d’une déclaration ou d’un comportement non équivoque de son auteur.
  • Alors que l’acceptation sans condition ni réserve de l’offre d’achat de [la SCI acquéreuse] engageait les vendeurs, c’est à tort que [l’agent] soutient que la vente n’était pas parfaite et qu’il pouvait légitimement transmettre à son mandant une offre concurrente, à un prix bien supérieur, dans la mesure où cette acceptation mettait un terme de fait à son mandat ;
  • [L’agent] en était d’autant plus conscient qu’il avait d’emblée félicité les acquéreurs pour l’achat du bien immobilier ;
  • Si le mandataire doit veiller à l’accomplissement de sa mission en agissant au mieux des intérêts de son mandant, il résulte de l’article 8 du décret 2015-1090 du 28 août 2015 constituant le code de déontologie applicable aux agents immobiliers, que la promotion des intérêts légitimes du mandant doit se faire dans le respect des droits et intérêts des autres parties aux opérations pour lesquelles il est mandaté ;
  • L’obligation du mandataire de communiquer au mandant et aux autres parties l’ensemble des informations utiles pour une prise de décision libre et équilibrée s’accompagne d’une obligation de faire preuve de prudence, en veillant à ne mettre en péril ni la situation du mandant, ni celle des autres parties aux opérations pour lesquelles il est mandaté.
  • A cet égard, l’information sur l’offre concurrente à un prix bien supérieur, qui était de nature à inciter les vendeurs à se dédire envers [la SCI acquéreuse], était inutile, puisque les vendeurs avaient déjà pris l’engagement de vendre leur immeuble à l’intimée.
  • En transmettant dans ces conditions l’offre mieux disante et écrivant à [la SCI] « je vous promets que je vous aiderai à vous trouver un autre bien si ce dossier ne devait finalement pas aboutir avec vous », l’appelant a nui aux intérêts de l’intimée sans préserver d’ailleurs ceux de ses mandants.
  • L’appelant a ensuite, par son absence d’information malgré demandes précises, nécessairement induit [la SCI acquéreuse] à croire en la volonté des vendeurs d’accepter l’offre plus avantageuse à son détriment.

D’où l’indemnisation, logique, du préjudice, fixée sur la base des frais exposés par la SCI acquéreuse pour l’inscription de la prénotation, ainsi qu’à la perte des loyers auxquels elle aurait pu avoir droit durant le temps du décalage de la vente.

 

En pratique

L’arrêt retient l’attention, en ce qu’il ne se lmite pas à constater que la méconnaissance des principes applicables à la formation de la vente est en soi une faute de l’agent dans l’exécution de son obligation de compétence et de son devoir de conseil. Car par application de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., ass. Plén., 13 janvier 2020, n° 17-19.963), la Cour d’appel aurait pu constater que, si un tel devoir n’est contractuellement dû qu’au mandant, le tiers – en l’espèce l’acquéreur – n’en est pas moins fondé, au plan délictuel, à se saisir d’un manquement qui lui aurait porté préjudice.

Ici, la Cour d’appel préfère placer la difficulté au plan de la déontologie de l’agent immobilier, laquelle est établie dans l’intérêt du public, qui peut donc s’en prévaloir de plein droit et obtenir la sanction des manquements.

Pour dire les choses autrement : connaître les principes majeurs du droit de la vente, ne pas tergiverser ni transiger avec eux, c’est une question de déontologie.

 

* CA Colmar, ch. 3 a, 30 sept. 2024, n° 23/02895.