Mandat d’entremise et action en vente forcée

A propos d’un arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Amiens le 10 septembre 2024 *

 

Le « mandat de vente » soumis à la Loi Hoguet n’en est pas un, au sens de l’article 1984 du Code civil.
Faute de mission spéciale de représentation, il ne s’agit « que » d’un mandat dit « d’entremise », le mandant ayant, seul le pouvoir de conclure une vente.

La chose est connue, après que nombre d’agents immobiliers, munis d’une offre au prix et qui avaient eu le sentiment d’avoir rempli leur mission, se soient heurtés à un refus d’acceptation par leur mandant, et aient donc vu s’envoler leur droit à commission.
Elle s’impose évidemment aux potentiels acquéreurs eux-mêmes, convaincus qu’une telle offre faite à un agent est susceptible de lier la vente, en vertu de la règle du consensualisme présidant aux dispositions de l’article 1983 (« [la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix,… »).

La Cour d’appel d’Amiens en donne une nouvelle illustration, à travers un arrêt du 10 septembre 2024.

L’affaire

Le propriétaire d’un bien avait confié à un agent immobilier un mandat de vente sans exclusivité, pour un prix déterminé.
Le lendemain, l’agent avait reçu une offre d’achat « au prix » ; offre à laquelle il avait, semble-t-il, indiqué réserver une suite favorable.
Or, quelques jours plus tard, l’agent avait informé l’acquéreur que son mandant n’avait pas donné suite, ayant au contraire rétracté son mandat alors qu’un compromis de vente était envisagé avec un tiers, pour un prix supérieur.

Dans ces conditions, l’acquéreur évincé avait fait délivrer assignation au vendeur, aux fins de voir déclarer la vente parfaite.
Il soutenait que le mandat confié à l’agent immobilier engageait le mandant quant à la rencontre d’une offre et d’une acceptation, et que tout au moins, une apparence en ce sens avait été créée, dont il pouvait se prévaloir.

La solution

Sans surprise, la Cour d’Appel d’Amiens rejette la demande, sur la base de la motivation suivante :

  • « Il résulte des articles 1 et 6 la loi n°70-9 du 2 janvier 1970, et 72 alinéa 3, du décret du 20 juillet 1972 que le mandat d’entremise donné à une personne se livrant ou prétant son concours d’une manière habituelle à une opération visée à l’article 1er de la loi du 2 janvier 1970 ne lui permet pas d’engager son mandant pour l’opération envisagée à moins qu’une clause de ce mandat ne l’y autorise expressément ( 1re Civ., 6 mars 1996, pourvoi n° 93-19.262, publié ; 1re Civ., 5 février 2020, pourvoi n°18-26.808, diffusé).
  • Le mandat apparent ne peut tenir en échec les règles impératives posées par les articles 1 et 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et l’article 72 du décret du 20 juillet 1972 (1re Civ., 31 janvier 2008, pourvoi n° 05-15.774, publié ; 1re Civ., 5 juin 2008, pourvoi n°04-16.368, publié).
  • Le mandat du 11 novembre 2021 ne comporte pas de clause expresse par laquelle le mandant donne pouvoir à l’agent immobilier de le représenter pour conclure la vente, de sorte qu’il n’y a pas eu offre de vente.
  • La théorie du mandat apparent invoqué par [le mandant] ne peut trouver à s’appliquer.
  • A défaut d’offre valable de vente, l’acceptation de [le mandant] est dénuée de tout effet ».

En pratique

Juridiquement, la solution est rigoureuse, même si elle revient à soumettre la conclusion de la vente – et le droit à commission subséquent – au bon vouloir du mandant.
Car l’article 1 de la loi Hoguet vise les opérations dans lesquelles l’agent « prête son concours » à des opérations notamment de vente, tandis que l’article 72 de son décret d’application prévoit que « Lorsqu’il comporte l’autorisation de s’engager pour une opération déterminée, le mandat en fait expressément mention ».
Dans ces conditions, toutes les règles du droit commun des obligations, dont celles du mandat apparent, doivent céder devant l’empire de la Loi Hoguet, d’ordre public.
Avec cette observation que la problématique ici tranchée est totalement distincte de celle de la réitération d’une vente notamment constatée par un engagement direct ou une promesse manifestant une réelle rencontre des volontés sur la chose et sur le prix.

Cela étant, la persistance d’un contentieux démontre que demeure souvent une incompréhension de la portée de la mission de l’agent.
Une démarche de pédagogie s’impose donc à l’agent : auprès du mandant, pour expliciter les contours de la mission, et l’étendre le cas échéant à la possibilité d’un engagement ; auprès de l’acquéreur potentiel, à qui on accusera réception de son offre en lui indiquant, si tel est le cas, qu’elle demeure soumise à l’acceptation du vendeur.

 

* CA Amiens, 1re ch. civ., 10 sept. 2024, n° 22/03433