Mandat de gestion immobilière et devoir de conseil en matière de dispositif Pinel

A propos d’un arrêt de la Cour d’Appel de Lyon du 5 septembre 2024 *

Pour quelles raisons confier un bien en gestion à un agent immobilier ?
A l’évidence, pour le service d’un professionnel, qui permet de sécuriser un investissement locatif, ce dont la jurisprudence tire les conséquences avec constance.

Mais où ce service s’arrête-t-il lorsque, sans recourir à une prestation spécifique en matière de gestion de patrimoine, le bailleur conçoit son investissement locatif également comme le support d’une opération de défiscalisation ?
C’est à cette question que répond un arrêt de la Cour d’Appel de Lyon, le 5 septembre 2024.

L’affaire

En 2014, un couple avait acquis un bien immobilier, et confié un mandat de gestion à un agent immobilier. Bien que le mandat leur offrît de désigner le régime fiscal particulier éventuellement applicable, les mandants n’avaient pas fait usage de cette possibilité. Sur la base de ce mandat, l’agent avait loué le bien au loyer qu’il avait déterminé.

De leur côté, les mandants avaient entendu bénéficier du dispositif fiscal Pinel, ce dont ils avaient, semble-t-il, informé l’agent.
Après avoir procédé aux déclarations utiles, ils s’étaient cependant vu notifier ultérieurement un redressement fiscal, au motif que le loyer dépassait le seuil maximal permettant de bénéficie de ce dispositif.

Après mise en demeure infructueuse, les mandants avaient agi en Justice à l’encontre de l’agent immobilier, en soutenant que celui-ci avait manqué à ses engagements contractuels en fixant le loyer à un montant inadéquat.
Ils se fondaient non seulement sur la force obligatoire des contrats, mais égalelement sur l’article 1135 du Code civil, dont les termes sont désormais repris à l’article 1194 issu de la réforme du droit des obligations :

  • « Les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi ».

Conformément à une argumentation classique, l’agent avait plaidé qu’il n’a pas d’obligation de conseil spécifique ou d’information en matière de fiscalité, alors que d’après lui les mandants se seraient abstenus de l’informer de leurs intentions en la matière, et qu’en toute hypothsèe, ils n’avaient pas étendu sa mission à cette matière spécifique.

 

La solution

Aux termes de son arrêt du 5 septembre 2024, la Cour d’Appel de Lyon donne raison aux mandants, sur la base de la motivation suivante :

  • Le mandat de gestion ne désigne pas le régime fiscal auquel le bien se trouve soumis, aucune des options proposées n’ayant été cochée ou entourée par les [mandants]….
  • La preuve de ce que l’application du dispositif ‘Pinel’ était entrée dans le champ contractuel (n’est) pas suffisamment rapportée.
  • Il n’en demeure pas moins que le mandataire de gestion immobilière se trouve tenu, de par la nature de son mandat, d’un devoir de conseil envers le mandant, s’exerçant dans le champ de ses attributions.
  • En l’espèce, le contrat offre aux mandants la possibilité de désigner le régime fiscal applicable au bien confié en gestion, ce dont il résulte que les aspects fiscaux de la gestion participent de la mission du mandataire.
  • Il appartenait en conséquence à la régie, dont il a été précédemment retenu qu’elle avait connaissance de la volonté des [mandants] de bénéficier du dispositif ‘Pinel’, de relever que les intéressés avaient omis de désigner le régime fiscal applicable à l’immeuble, fût-ce simplement le régime de droit commun et qu’ils s’étaient abstenus d’entourer ou de cocher la mention du dispositif ‘Pinel’ dont ils souhaitaient pourtant qu’il soit appliqué.
  • Le contrat attribue également au mandataire la prérogative de louer le bien ‘aux prix, charges et conditions [qu’il] jugera à propos’.
  • Il lui appartenait en conséquence de proposer un loyer conforme aux dispositions réglementaires applicables au dispositif Pinel, dont il savait que les [mandants] voulaient bénéficier. A supposer que les [mandants] aient fixé eux-même le montant du loyer, il lui appartenait de les avertir de l’inadéquation de ce loyer au regard des seuils réglementaires applicables au dispositif ‘Pinel’.
  • En s’abstenant d’informer les [mandants] de leur carence dans la désignation du régime fiscal qu’ils souhaitaient voir appliquer et dont elle avait connaissance, et en s’abstenant de suggérer un loyer conforme aux dispositions réglementaires applicables au régime Pinel, la régie a manqué à son devoir de conseil et engagé sa responsabilité contractuelle à l’égard des appelants.
  • Ce manquement leur a causé une perte de chance de pouvoir bénéficier du régime fiscal Pinel pour sa durée maximal de 12 ans, que la cour évalue à 90 %.

En pratique

L’arrêt peut paraître sévère, pour l’agent immobilier, qui n’a agi qu’en qualité de mandataire de gestion, et non en qualité de conseil en gestion de patrimoine : il n’a « vendu » aucune mission spécifique en matière de défiscalisation, mais voit cependant sa responsabilité engagée pour n’avoir pas exercé son conseil sur ce point.
Et le taux élevé de la perte de chance retenue démontre le caractère incontournable des diligences qu’il doit alors mettre en oeuvre.

Dans ces conditions, en l’état d’un tel arrêt – qui cependant ne vaut pas jurisprudence à lui seul -, ne faudrait-il pas en déduire qu’il conviendrait, pour protéger l’agent titulaire d’un mandat de gestion immobilière, qu’il propose deux types de mandats : l’un intégrant une éventuelle option fiscale, l’autre n’en faisant pas mention, et même, l’excluant ?
A dire vrai, le défaut de mention de toute option fiscale risquerait de se heurter à la faculté pour le juge d’étendre encore sa jurisprudence en considérant que l’aspect fiscal est toujours inhérent à la mission de l’agent.
Et dans ces conditions, il serait à craindre que l’exclusion d’une telle option, réduisant le champ de la mission de l’agent, se heurte au caractère non écrit de toute clause privant l’obligation essentielle de sa substance (article 1170 du Code civil), ou encore à la prohibition des clauses abusives tirée de l’article 1171 du Code civil.

Sans doute vaut-il mieux laisser l’incertitude de côté. Il convient plutôt de considérer que la détention d’une carte professionnelle permettant l’exercice d’une activité de gestion immobilière implique non seulement de maîtriser les dispositifs fiscaux encadrant son action, mais également de se tenir à l’affût des intérêts et besoins des mandants.
Ce qui, certes, élève le niveau d’exigence ; mais, en même temps, protège les vrais professionnels.

* Lyon, 1re ch. civ. a, 5 sept. 2024, n° 21/00516