Société en formation et reprise du mandat de recherche

L’agent immobilier est souvent aux premières loges de l’aventure entrepreneuriale, spécialement lorsqu’il est sollicité pour trouver des locaux à louer ou un fonds de commerce à reprendre, dans le cadre d’un mandant de recherche.
Alors, il se retrouve fréquemment face à une personne physique, qui a défini son projet, et a décidé de l’inscrire dans le cadre d’une société commerciale à constituer, en fonction des résultats de la recherche.
Mais pour le rédacteur du mandat, l’exercice pouvait tourner court, du fait de formules inappropriées dans la désignation du mandant.

Reprenons les termes de la problématique juridique quant au titulaire de l’engagement pris envers l’agent : d’abord, la personne physique, par nécessité, au moment de la signature du mandat, puisque la société n’était qu’en formation ; ensuite, la société effectivement constituée, selon la logique entrepreneuriale, au moment de la signature des actes définitifs et de la facturation de la commission.
Ce qui implique, pour passer de l’une à l’autre, que le mandat signé par la personne physique ait été valablement repris par la société.

En droit des sociétés, la question de la reprise des actes accomplis par ses fondateurs antérieurement à la formation de la société est classique, et fait spécialement l’objet des dispositions de l’article L. 210-6 du Code de commerce :

Les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. La transformation régulière d’une société n’entraîne pas la création d’une personne morale nouvelle. Il en est de même de la prorogation.

Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société.

Selon ce texte, le préalable indispensable pour la reprise d’en engagement est donc qu’il l’ait été  « au nom d’une société en formation », soit une formule assez vague.
Longtemps, la Cour de cassation a adopté une conception rigoriste de ce texte : lorsqu’un engagement était pris en considération d’une société à constituer, mais qu’il ne l’était pas expressément « au nom » ou « pour le compte » de cette société, alors elle jugeait que la sanction devait en être la nullité, peu important l’intention des parties.
Ce qui pouvait constituer une prime à la mauvaise foi pour un mandant, personne physique, qui s’était par exemple présenté comme « gérant d’une société à constituer », ou usant de toute autre formulation ne correspondant pas exactement aux stricts critères formels posés par la jurisprudence.

Il n’en va plus ainsi, désormais, ainsi que l’a jugé la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation, par trois arrêts retentissants rendus le 29 novembre 2023, et qui ont aujourd’hui les honneurs du Rapport Annuel, mis en ligne le 3 juillet 2024.
L’attendu essentiel, repris dans les trois décisions, est sans ambiguïté :

« En présence d’un acte dans lequel il n’est pas expressément mentionné qu’il a été souscrit au nom ou pour le compte de la société en formation, il appartient au juge d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à cet acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas qu’il soit conclu au nom ou pour le compte de la société »

L’unique critère est donc aujourd’hui « la commune intention des parties », appréciée « souverainement » par le juge ; soit un critère concret, aisément identifiable dans le cadre d’un mandat immobilier, en considération de sa finalité économique : rechercher le local dans lequel la société exercera effectivement son activité.
On ne peut que s’en féliciter : sur ce sujet, comme sur d’autres, la Cour de cassation se plie à l’exercice de la réalité.
Ce qu’elle revendique, d’ailleurs, aux termes de son rapport (page 213) :

Les arrêts commentés vont ainsi contribuer à favoriser la création d’entreprises, ces dernières pouvant désormais envisager, de manière plus sereine, le démarrage de leurs activités du point de vue juridique.

Seulement, qu’en est-il de la reprise effective des actes par la société ?

Car dans tous les cas, encore faut-il que la Société ait manifesté son intention de reprendre les actes, par un des moyens admis par l’article R. 210-6 du Code de Commerce, savoir : son inscription dans la liste des actes repris annexée aux statuts, ou après signature des statuts et avant immatriculation, le mandant donné par les associés à l’un ou plusieurs d’entre eux de s’engager de manière précise et déterminée pour le compte de la société ; à quoi l’on ajoutera la reprise d’un acte postérieurement à l’immatriculation, par décision unanime des associés.
Faute de reprise selon l’une de ces modalités, la société n’est pas engagée, et dans l’hypothèse de notre mandat de recherche, l’agent immobilier ne pourra donc rechercher sa rémunération qu’à l’encontre du seul signataire du mandat.
Mais dans un tel cas, comme ce mandat, par hypothèse, n’aura pas régularisé à titre personnel le contrat de bail ou l’acte de cession du fonds de commerce, mais seulement pour le compte de la société, l’agent se retrouvera surtout à agir sur le fondement de la clause pénale, avec tous les aléas y afférents.

Dans ces conditions, existe-t-il, pour l’agent, une solution pour s’épargner une fâcheuse discussion devant le juge ?
Là encore, la meilleure garantie est le suivi rigoureux et attentif de ses dossiers par l’agent, et le maintien d’un contact constant avec son mandant.
C’est ainsi que, dans le cadre de la préparation de l’opération concrétisant son intervention et fondant son droit à commission, et aussitôt qu’il aura eu connaissance de la constitution et de l’immatriculation de la société, il pourra avantageusement proposer un avenant permettant d’entériner la substitution du mandant originaire par la société.

Cour de cassation, Chambre Commerciale, 29 novembre 2023, pourvois n° 22-12.865, 22-18.295 et 22-21.623