De la nécessaire mention du nom et de la qualité du signataire du mandat immobilier

Les agents immobiliers le savent : la loi Hoguet est d’une rigueur qui, au moment de la prise de mandat, implique de ne négliger aucun détail, sauf à risque de perdre l’entier bénéfice de leur travail.
Trop fréquemment, certains en font l’amère expérience, telle cette agence immobilière, personne morale, déboutée des demandes fondées sur ses mandats par un arrêt rendu le 6 juin 2024 par la Cour d’Appel de Paris.

L’affaire avait pourtant bien commencé pour elle, puisqu’elle était titulaire aussi bien d’un mandat non exclusif de vente confié par une société propriétaire d’un bureau de tabac par l’intermédiaire d’un de ses négociateurs habilités, que d’un mandat de recherche régularisé par ailleurs et obtenu par le gérant de l’agence.
De fait, plusieurs visites du bien sous mandat avaient eu lieu au titre de la recherche, ce qui laissait augurer d’une issue favorable entre ses deux mandants

C’est pourtant au bénéfice d’un autre agent immobilier, également titulaire d’un mandat de vente non exclusif donné par le vendeur, que l’opération devait se conclure, le fonds de commerce ayant été acquis par une société ayant pour associée la personne qui avait donné le mandat de recherche au premier agent.
Fort logiquement, notre agence immobilière agit en Justice, à l’encontre tant de la venderesse que de la société acquéreuse et de ses associés, sur le fondement de la clause pénale assortissant chacun de ses mandats.

L’agence immobilière est cependant déboutée de ces actions par la Cour, laquelle prononce la nullité desdits mandats.
La raison : alors que la carte d’agent immobilier était au nom de la société, le gérant avait signé les mandats, en omettant cependant d’y faire figurer tant son nom, que sa qualité de gérant.
Ce qui, selon la juridiction, contrevenait aux principes suivants, applicables aussi bien du mandat de vente que du mandat de recherche :

« selon l’article 4, alinéa 1er, de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, toute personne habilitée par un titulaire de la carte professionnelle à négocier, s’entremettre ou s’engager pour le compte de ce dernier justifie de sa qualité et de l’étendue de ses pouvoirs dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État. L’article 9, dernier alinéa, du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 dispose que les nom et qualité du titulaire de l’attestation doivent être mentionnés dans les conventions visées à l’article 6 de la loi précitée lorsqu’il intervient dans leur conclusion, ainsi que sur les reçus de versements ou remises lorsqu’il en délivre.

Il résulte de ces dispositions d’ordre public, qu’à défaut de mention, dans le mandat, du nom et de la qualité de la personne habilitée par un titulaire de la carte professionnelle à négocier, s’entremettre ou s’engager pour le compte de ce dernier, cette convention est nulle ».

A première vue, la Cour d’appel de Paris paraît n’être guère innovante, dès lors qu’elle reproduit, au mot près, la motivation d’un arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 12 novembre 2020.
On observera cependant qu’en appliquant la solution au gérant de la personne morale titulaire de la carte signataire d’un des deux mandats en cause, la Cour d’Appel de Paris semble adopter une position encore plus restrictive que la haute juridiction, dont l’arrêt concernait un agent commercial titulaire d’une attestation de collaborateur ; ce, alors que les textes cités visent expressément l’entremise par l’interméiaire d’un collaborateur habilité.
Il n’est donc pas certain que la solution soit maintenue si l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris devait faire l’objet d’un pourvoi.

Rappelons au passage qu’aux termes de son arrêt du 12 novembre 2020, la haute juridiction avait mis en perspective la sanction de l’annulation du mandat avec les dispositions de la convention européenne des droits de l’homme :

« si l’annulation du mandat de vente prive l’agent immobilier et l’intermédiaire de la rémunération prévue au mandat, qui constitue une créance entrant dans le champ d’application de l’article 1er du premier Protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, cette mesure est proportionnée à l’objectif poursuivi par les dispositions de la loi du 2 janvier 1970 et du décret du 20 juillet 1972 d’organiser l’accès à la profession d’agent immobilier, d’assurer la compétence et la moralité des agents immobiliers et de protéger le mandant qui doit pouvoir s’assurer que la personne à qui il confie le mandat est habilitée par l’agent immobilier, est titulaire de l’attestation légale et dispose des pouvoirs nécessaires ».

D’aucuns pourraient estimer que cette jurisprudence tatillonne, surtout dans l’application qu’en fait la Cour d’Appel de Paris, confine à l’excès – « Summum jus, summa injuria », disaient les Romains (« le droit porté à l’excès est une suprême injustice »)
Tel est cependant l’état du droit, sous la réserve évoquée plus haut.

De fait, l’application que les juges font de la Loi Hoguet ne peut constituer une prime aux mandants indélicats que parce que des mandataires insuffisamment rigoureux y prêtent le flanc.
La conclusion est donc toujours la même : seul l’extrême soin mis par l’agent immobilier dans l’exécution de ses obligations protège son droit à commission ou le droit à dommages et intérêts qui s’y substitue, parce que c’est ce qu’exige la protection du public.

 

CA Paris, 6 juin 2024, n° 21/19527
Cass. 1re civ., 12 nov. 2020, n° 19-14.025, Publié au bulletin